A LIRE : Habiter, philosophie de l'architecture

Nous vous recommandons la lecture d’un très bel article intitulé « Habiter » de la jeune philosophe Raphaëlle Cazal, doctorante à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Les travaux de Raphaëlle Cazal portent sur la philosophie de l’architecture. Ses nombreuses publications dévoilent les dimensions multiples de l’expérience esthétique et éthique que nous faisons des espaces vécus et des édifices bâtis, auxquels nous attribuons des significations particulières et qui conditionnent nos modes de vie. En partant du vécu subjectif de l’individu et en analysant les investissements psychologiques que nous faisons des objets spatiaux, elle rend compte de la possibilité de réconciliation entre le monde et soi qui s’ouvre dans l’expérience urbaine et architecturale. Ses écrits offrent des outils conceptuels originaux pour concevoir des espaces humanisants, dans lesquels le caractère pratique des lieux habités rencontre l’épaisseur poétique d’un monde rendu aimable, et même, musical.

Voici une présentation et quelques extraits de l’article « Habiter » paru dans la revue « Etudes, E-revue de culture contemporaine » (numéro de Juillet 2014) et disponible dans sa version intégrale sur le site du Cairn (portail de sciences humaines et sociales de langue française).

Gagne-t-on à penser l’acte d’habiter sur le modèle de l’habitude, à ne voir en lui qu’une activité parmi d’autres, voire la plus routinière de toutes ? C’est précisément cette conception, usuelle, de l’habiter, que cet article entend remettre en cause à l’appui de la phénoménologie de l’art et de l’existence d’Henri Maldiney : une habitation plénière d’un lieu s’avère être bien plutôt la condition de toute existence accomplie. Habiter implique en effet indissolublement un rapport à l’espace, à soi et aux autres, une attitude d’ouverture à ce qui constitue leur altérité et leur unicité. Ce qui implique en retour que les édifices et les villes soient bâtis de façon à respecter notre statut d’existants et l’imprévisibilité foncière du réel : à maintenir nos sens en éveil sans pour autant les hypnotiser, à favoriser la rencontre plus que la rationalisation et l’optimisation des espaces.

Extraits :

« La manière dont nous nous ouvrons ou nous fermons au monde et aux autres est le corrélat immédiat du rapport que nous entretenons à l’égard de nous-mêmes. Celui qui n’habite plus son corps, n’habite plus le monde et ne cohabite plus avec autrui » (p. 54 de la revue papier).

(…)

« Un lieu, pour être habitable, doit être adapté à notre manière de nous ouvrir à l’espace. Il lui faut lui aussi déployer un rythme articulant le proche et le lointain. Pour ce faire, l’architecture doit être ouverte sur son environnement, c’est-à-dire nous le présenter comme un endroit où nous sommes incités à aller et non comme un spectacle coupé de nous. Car un monde-objet, un monde mis à distance, n’est pas habitable. Cette articulation peut reposer sur un jeu subtil de contrastes et d’échos, à l’image du musée Guggenheim de Frank Gehry, qui est en affinité avec les collines environnantes par ses courbes, tout en s’en distinguant par la couleur du titane brillant de son enveloppe. L’instauration de grandes baies, ou de toits-terrasses à la manière de Le Corbusier, inspirés du pont des paquebots, participe également de l’ouverture sur l’extérieur. À l’échelle urbaine, une telle ouverture peut être obtenue à partir d’une « unité d’éclat » comparable à celle des villages de montagne d’autrefois, qui étaient disposés par éclatement, se fondant progressivement dans la nature » (p.56-57).

(…)

« Si habiter un lieu, c’est s’y sentir chez soi, ce ressentir est loin d’être immédiat. Il sollicite en amont une transformation de notre part, une conformation du rythme de nos gestes et de nos pas au rythme des pièces, des couleurs, et à l’ambiance générale du lieu. Habiter un lieu, c’est avant tout être surpris par lui et se laisser surprendre, guider par lui » (p. 59).


Et pour aller plus loin, voici une sélection non exhaustive d’articles de l’auteur, à retrouver aux liens suivants :

« L’empathie en architecture. Pour une nouvelle compréhension de l’habitation de l’espace », juillet 2014.

« Rythme et commotion : les vecteurs d’un habiter véritable dans l’esthétique d’Henri Maldiney », in : Mildred Galland-Szymkowiak, Petra Lohmann (dir.), Construire et éprouver, dans l’espace et dans la pensée. Points de rencontre entre l’architecture et la philosophie. Actes du colloque organisé par Mildred Galland-Szymkowiak et Petra Lohmann « Architektur und Philosophie / Architecture et philosophie », 2012, Siegen, Allemagne, 2017, pp. 103-111. HAL Id: halshs-01502022.