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Battre aux rythmes de la ville

Voyage à Roissy CDG

au rythme de la ville productive

Principale plateforme de fret aéroportuaire en Europe, le pôle logistique de Roissy est une ville dans la ville. Activité nocturne par excellence, elle draine de nombreux travailleurs mais son intégration urbaine limitée constitue un véritable enjeu. Transports, services et espaces de vie nocturnes sont autant de réponses à explorer pour une meilleure concordance des rythmes au quotidien.

Couverture : Roissy CDG, une entrée de la zone Cargo ©K. Berrekla, juin 2021

L’universitaire américain John Kasarda a théorisé sous la formule « Aerotropolis » le principe selon lequel les aéroports deviendraient les nouvelles centralités des métropoles au XXIe siècle. Si pour l’heure cette prévision ne s’est pas pleinement réalisée, les aéroports constituent néanmoins un pôle d’attraction pour de nombreuses activités économiques, ils semblent ainsi imposer leurs rythmes sur les territoires où ils s’implantent.

Roissy CDG est le premier aéroport européen pour le transport de marchandises1. Son pôle logistique constitue une ville productive dans la ville aéroportuaire, qui représentait en 2019 plus de 32 000 emplois2. Cette activité déborde largement des limites de l’aéroport. Ainsi, le bassin d’emploi du Grand Roissy accueille 24 zones logistiques sur une superficie de 1020 hectares3. Tout autour, de nombreux projets d’aménagement de nouvelles zones d’activités continuent de voir le jour. Avec des entrepôts toujours plus grands, cette activité est fortement consommatrice de foncier.

À l’heure où les métropoles s’interrogent sur la place de la logistique en ville, il s’agit de comprendre comment s’effectue l’intégration urbaine des zones logistiques aériennes. Mais aussi, comment les individus et le territoire s’adaptent aux rythmes spécifiques de cette activité.

Une plateforme qui vit la nuit

Le monde de la logistique aéroportuaire vit essentiellement la nuit. C’est ce que nous confirme Maximilien Dubois, chargé de projet à Paris CDG Alliance, structure de promotion du territoire et de développement des emplois de Roissy. Selon lui, « environ 4 salariés sur 5 travaillent en horaires décalés sur la plateforme de Paris-CDG ». Ce chiffre considérable recouvre des réalités diverses, mais un certain nombre de ces employés travaillent sur les plateformes logistiques.

Cette activité nocturne constitue un avantage économique pour la plateforme de Roissy. Christophe Blondel, directeur des services de la Préfecture déléguée aux aéroports, explique ainsi que « l’une des raisons pour lesquelles le fret aérien s’est développé à Roissy est lié au fait que les autorités françaises aient accepté de ne pas mettre en place de couvre-feu nocturne, contrairement à Orly ». C’est l’une des raisons ayant permis l’implantation du hub européen de FedEx à Roissy.

FedEx est un mastodonte du fret aérien dont Roissy CDG est la 2e plus grande plateforme au monde4. Son site de Roissy compte 2500 salariés, 112 000 m² de bâtiments et 1200 tonnes de fret traités chaque jour. Julien Ducoup, son Directeur Général à Roissy, explique que « l’organisation de vols de nuit par les opérateurs de l’industrie express ne résulte pas d’un choix mais d’une nécessité. L’offre de service express de livraison internationale le lendemain (en J+1) implique des contraintes de temps très restrictives quant à l’organisation des opérations. » Par ailleurs, l’organisation en hub génère également des contraintes de temps supplémentaires se traduisant par « l’arrivée et le départ d’un nombre important d’avions sur un même aéroport, dans une fenêtre de tir de 4 heures approximativement. Un trafic aérien aussi concentré ne peut pas être opéré pendant les heures de pointe du trafic passagers. »

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un soir au démarrage de l’activité au hub FedEx de Roissy ©K. Berrekla, 2017

Vers un « centre de vie » pour les employés de la logistique ?

Cette activité concentrée la nuit est un usage particulier nécessitant une prise en compte plus importante en matière d’aménagement. D’un point de vue urbain, les particularités de l’activité nocturne de Roissy demeurent impensées. L’aménagement de la zone Cargo est minimaliste. Il n’y a pas d’espaces verts, pas de lieux de convivialité, plus de services publics depuis la fermeture du bureau de poste en 2013. Il n’y a pas non plus de commerces, sauf à se rendre en voiture à l’immense centre commercial « Aéroville », en lisière ouest de la zone Cargo. Néanmoins, la plupart des commerces y ferment après 22h, comme d’ailleurs la quasi-totalité des lieux de vie de l’aéroport. Jeannot Sobiestre, directeur d’agence du groupe RDT, transitaire dont la société est installée en zone Cargo, confirme ce diagnostic : « on manque de réflexion à long terme sur l’aménagement de la zone, il manque des espaces de respiration, un lieu pour déjeuner dehors, des parcours de santé … ».

Certaines entreprises, comme FedEx, parient sur la mise en place de services en interne pour permettre aux salariés travaillant la nuit de disposer d’espaces de détente. Julien Ducoup nous indique ainsi que divers services y sont mis à disposition des salariés tels que « un restaurant d’entreprise ouverte jusque minuit, des salles de pause, des tables de ping-pong ainsi que deux terrains de badminton ». Néanmoins à l’échelle de la plateforme aéroportuaire, de tels lieux de vie demeurent rares. L'idée d'aménager une "base de vie" ouverte toute la nuit en zone Cargo, avec des services pour les employés (salles de pause, restaurant interentreprises, salle de sport, crèche …) pourrait bien être une solution pertinente pour répondre au besoin de considération des salariés en horaires décalés.

Les besoins des chauffeurs de poids-lourds sont également insuffisamment pris en compte. Christophe Blondel souligne « qu’un parking dédié ouvert toute la nuit, offrant des services de base aux chauffeurs – restauration, détente, douches, sanitaires – serait une avancée considérable, à l’image de la base arrière aménagée pour les taxis de l’aéroport ».

Le transport à la demande, une solution pour les mobilités nocturnes

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usagers nocturnes du transport, dans la zone de frêt, près du centre commercial Aéroville ©K. Berrekla, juin 2021

Aussi, l’activité nocturne n’est pas sans conséquence sur la mobilité des salariés : aux horaires où le RER et les bus ne fonctionnent plus, il ne reste bien souvent que la voiture pour assurer ses déplacements nocturnes vers l’aéroport. Une initiative est toutefois à souligner. Dénommée Filéo, il s’agit d’un service de transport à la demande reliant Roissy CDG aux villes voisines, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Ce dispositif unique, couvrant 29 villes autour de Roissy, est aussi un outil de lutte contre le chômage permettant aux salariés sans véhicule ou sans permis de conduire, d’accéder aux emplois5.

Ce dispositif s’avère d’autant plus nécessaire que le pôle logistique s’étend même en dehors des frontières de l’aéroport. Jeannot Sobiestre souligne ainsi que « nombreuses sont les entreprises qui sont parties en périphérie de l’aéroport pour avoir plus grand et payer moins cher6».

Pour Damien Vinet, secrétaire de l’Air Cargo France Association7, la dynamisation des zones logistiques passe par « une stratégie massive de développement mêlant l’accessibilité en transport en commun, une logique d’implantation et une synergie entre les activités ». Des expérimentations pourraient aussi être lancées afin d’améliorer la mobilité nocturne avec « des navettes électriques, des navettes à l’hydrogène à la demande qui pourraient connecter avec fréquence les pôles stratégiques de la Zone Cargo ».

L’enjeu de la mobilité pour accéder aux l’emplois de l’aéroport demeure néanmoins un sujet central. Malgré les efforts des acteurs de la communauté aéroportuaire, les territoires avoisinants ne bénéficient encore pas suffisamment de ces retombées. Les taux de chômage et de pauvreté atteignent des niveaux considérables dans certaines villes proches de l’aéroport, et cela risque fort de s’accentuer avec la crise économique liée à l’épidémie de Covid-198.

Diversifier les mobilités pour offrir des alternatives à la voiture

Alors que l’avenir des grands projets de transport semble compromis (annulation du débranchement du RER D vers Roissy, incertitudes sur la ligne 17 du métro, CDG express …), le département du Val-d’Oise mise sur le développement de trois lignes de bus à haut niveau de service (BHNS) qui assureraient une desserte suffisamment fine et efficace entre les zones d’habitat à l’ouest, le long de la ligne RER D, et la plateforme aéroportuaire à l’est, desservie par le RER B9.

Il s’agit de rattraper un retard considérable en la matière. C’est également ce que souligne Christophe Blondel : « les moyens de mobilité de l’aéroport ont été conçus pour les passagers et non pour les usagers ». Ainsi, le CDGVAL, métro interne de l’aéroport, ne dessert que les terminaux voyageurs, les gares et les parkings. En dehors de lignes de bus, plus ou moins régulières, il n’existe pas de transport structurant pour relier les deux principaux pôles logistiques de la plateforme : le hub FedEx à l’ouest et la zone Cargo au sud-est.

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embouteillages routiers à l’entrée de la zone technique de l’aéroport @K. Berrekla, avril 2021

Néanmoins, les acteurs du fret aérien cherchent à changer la donne. Ils proposent la création d’une nouvelle gare du RER B, « Aérofret », entre la zone Cargo et le centre commercial d’Aéroville. Cette liaison constituerait une véritable porte d’entrée vers la zone Cargo et le reste de l’aéroport via la connexion avec les lignes de BHNS. Damien Vinet précise que cette ligne « relierait la zone Cargo de CDG à Paris en 25mn de RER contre 1h au mieux à ce jour ».

En somme, si la logistique constitue une activité économique majeure, une marge de progression existe afin d’améliorer l’intégration urbaine de ces activités et l’adaptation à ses rythmes particuliers. D’abord, des mobilités plus efficaces permettraient d’articuler le cœur du hub et son territoire, tant pour les salariés que pour les marchandises. La mise en place d’un maillage de services et d’espaces de vie adaptés au rythme nocturne des employés de la logistique constitue un troisième levier d’action.


  1. En 2019, 2,2 millions de tonnes de fret aérien ont transité par Roissy. Source : Institut Paris Région, chiffres-clés du Grand Roissy Le Bourget, 2019. Consultable ici : https://www.institutparisregion.fr/fileadmin/NewEtudes/Etude_1745/chiffres-clesGRLB2019.pdf 

  2. Cela représente environ 30% des emplois de l’aéroport. Le secteur de la logistique aéroportuaire a, par ailleurs, bien résisté aux effets de la crise économique consécutive du Covid-19. 

  3. Paris CDG Alliance, Observatoire du Grand Roissy Le Bourget. https://pariscdgalliance.fr/  

  4. Le 1er hub mondial de FedEx est celui de Memphis aux Etats-Unis. Le site de Roissy constitue son hub principal pour les régions d’Europe, du Moyen-Orient et d’Afrique. 

  5. Le Parisien, 18 décembre 2017 : « les bus Filéo tissent un peu plus leur toile autour de Roissy ». https://www.leparisien.fr/val-d-oise-95/les-bus-fileo-tissent-un-peu-plus-leur-toile-autour-de-l-aeroport-de-roissy-18-12-2017-7460163.php  

  6. L’implantation sur l’aéroport a un coût plus important en raison de la redevance à payer à Aéroports de Paris, propriétaire du foncier. 

  7. L’ACFA (Air Cargo France Association) rassemble les principaux acteurs privés et publics du fret aérien de l’aéroport CDG. www.acfa-france.com 

  8. Le Point, 1er mars 2021 : « La menace d’une hécatombe sur l’emploi à Roissy Charles de Gaulle » https://www.lepoint.fr/economie/la-menace-d-une-hecatombe-sur-l-emploi-a-roissy-charles-de-gaulle-01-03-2021-2415884_28.php  

  9. Trois lignes de BHNS sont actuellement à l’étude : entre Garges-Sarcelles et Roissy CDG 1, entre Villiers-le-Bel et Roissy CDG 1, ainsi qu’entre Goussainville et le Parc des Expositions de Villepinte. 

Pour citer cet article

Khader Berrekla, « Voyage à Roissy CDG », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 29/06/2021, URL : https://www.revuesurmesure.fr/contributions/voyage-a-roissy-cdg