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Écho

Le Nouveau Printemps, un festival bien vivant

Festival historique de création contemporaine de Toulouse, Le Nouveau Printemps prend un tournant en 2023. Chaque année, un artiste associé est invité à concevoir l’édition dans un quartier de la ville. Une équation à deux paramètres pour une infinité de possibilités. Rencontre avec Anne-Laure Belloc, directrice du festival et la designer matali crasset, l'artiste associée à l’édition 2023.

Sur-Mesure : Pour cette nouvelle édition, Le Nouveau Printemps se tient à Saint-Cyprien, dans le centre de Toulouse. L’édition 2024 se tiendra dans un autre quartier de la ville. Qu’est-ce que permet ce nouveau format du festival ?

Anne-Laure Belloc : Notre hypothèse de départ, c’est qu’en imaginant chaque année le festival dans un quartier de Toulouse et en associant un ou une artiste qui inviterait d’autres artistes, nous créerions autant de possibilités différentes d’expérimenter plusieurs visions de l’art. Nous voulons rebattre les cartes tous les ans.

L’échelle du quartier est apparue comme une évidence. Elle permet une vraie intensité de propositions. Nous avons la sensation que cet ancrage permet de créer des liens particuliers avec la ville et les habitants.

matali crasset : Je pense aussi qu’il faut arrêter de travailler hors sol. Se poser quelque part, cela change notre façon de pratiquer. Nous n’aurions pas fonctionné de la même manière à l’échelle de la ville. En travaillant uniquement dans le quartier Saint-Cyprien, les artistes invités qui ne venaient pas de Toulouse ont vraiment pu s’y immerger. Cette échelle nous a aussi permis de saisir la répartition des choses : par exemple le rôle du végétal, les espaces plus minéraux , et d’appréhender la diversité des lieux.

Même nous, qui ne sommes pas d’ici, nous avons l’impression que nous faisons quartier en nous posant et en construisant ce projet. L’un des enjeux du Nouveau Printemps est justement là : faire quartier, ensemble.

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Anne-Laure Belloc : Je dirais aussi qu’en matière de parcours, ce format donne la possibilité d’une rémanence. Le visiteur traverse une exposition sans avoir été noyé par d’autres images avant d’arriver à la proposition d’après.

matali crasset : Et puis nous voyons que cela marche aussi pour les sollicitations. Il y a une espèce de fierté des habitants, des commerçants, des structures locales mobilisées à ce que le festival se passe là, dans leur quartier.

Nous avons pu, plus facilement, tricoter les choses avec des gens qui ne viennent pas du domaine de l’art contemporain. C’est un autre enjeu qui me paraît important.

Sur-Mesure : Certaines des oeuvres ont été imaginées dans des lieux culturels emblématiques du quartier, d’autres dans l’espace public ou dans des lieux qui ne sont pas directement culturels. Quelle est l’intention de cette proposition dans et hors-les-murs ?

Anne-Laure Belloc : Dans les éditions toulousaines du festival, le hors-les-murs existait mais pas de manière systématique et souvent à l'initiative des artistes. Avec Le Nouveau Printemps, on retrouve quelque chose de l'esprit des années à Cahors (ndrl. avant de s’installer à Toulouse en 1991, le festival était situé à Cahors) et les œuvres dans l'espace public font partie intrinsèque du projet.

Nous voulions créer un parcours de quartier avec des œuvres dans ses lieux et dans ce que nous appelons, entre nous, ses “interstices”: les parcs, les places, le marché et même les vitrines d’agence immobilière… Ces propositions invitent à des rencontres fortuites.

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matali crasset : Parmi les projets que j’ai imaginés pour ce festival, il y a celui dans les agences immobilières évoqué par Anne-Laure. Il est lié à l’exposition Ce qu'habiter veut dire (ndlr. sept maquettes d’habitations potentielles et deux micro-architectures pensées comme des utopies domestiques), accueillie dans la Galerie Le Château d’Eau. À partir de là, nous avons créé des annonces immobilières pour ces maisons imaginaires et elles se sont glissées dans les vitrines des agences du quartier.
Une équipe d’étudiantes a tout de suite répondu à l’appel pour participer avec nous à ce projet. Elles sont allées le faire connaître et l’expliquer aux agences. Ce que je trouve intéressant ici, c’est qu’à un moment donné il y a eu des convergences d’envies entre des gens différents.

Anne-Laure Belloc : Avec ce nouveau format de festival - et d’autant plus en collaborant avec matali, il y a beaucoup plus de gens engagés : les artistes, les lieux qui accueillent les projets, mais aussi des associations, des écoles. Dans cette configuration collective, plusieurs éléments s'emboîtent pour que le projet du festival advienne.

Sur-Mesure : Vous avez pensé cette édition comme “une mobilisation de la culture au service du développement d’une culture du vivant”. Où en est notre culture du vivant aujourd’hui ?

matali crasset : Nous en sommes un peu aux prémices. La culture du vivant a été oubliée et sous-développée. Nous en prenons conscience. Il faut changer de paradigme et de façon de réfléchir. Beaucoup de gens lisent des auteurs, des écologues, pour justement arriver à comprendre comment se configurer. Et la jeunesse, elle, se configure directement. C’est très beau à voir.

Je trouve qu’il y a une vraie énergie dans ces balbutiements. Nous savons déjà dire ce à quoi nous tenons et ce à quoi nous nous opposons. Je crois que ce n’était pas le cas jusqu’alors.

Une culture écologique est en train de naître, mais beaucoup de chemin reste à parcourir. Nous devons tous nous décaler.

Une manifestation collective, un festival d’art contemporain, se doit de participer à cette histoire.

En imaginant cette édition, je voulais montrer qu’il y a des artistes qui travaillent sur les thématiques du vivant depuis des années. L’exposition aux Abattoirs - Musée Frac Occitanie en est le témoin (ndlr : en présentant, notamment, les œuvres de Marinette Cueco, Claudine Monchaussé et Cornelia Hesse-Honegger). Le travail de Marinette Cueco notamment certains de ses gestes comme les tressages avec l’herbe ont une très forte résonance aujourd’hui parmi les jeunes générations et la place dans un rôe de pionnière et d’éclaireuse. Il y a des gestes qui se perpétuent : les mêmes engagements, les mêmes symboliques. Aux Abattoirs, les artistes donnent aussi naissance à des nouveaux récits. Les œuvres racontent d’autres façons d’aspirer aux choses

Pour le festival, j’ai invité ma “famille” d’artistes, dont certains travaillent depuis longtemps avec le vivant. Dans cette petite configuration, nous avons fait famille autour de ce noyau avec un écosystème élargi : l’équipe du festival et tous les participants. Au moment du festival, nous ferons communauté.

Anne-Laure Belloc : Les prises de conscience écologiques, nous les souhaitons générales. Parfois, j’ai malheureusement l’impression qu’elles ne le sont pas tant que ça. En tous les cas, dans ce cheminement, l’entrée par le vivant nous a tout de suite intéressés. Baptiste Morizot parle de “crise de sensibilité au vivant”. C’est une hypothèse qui me paraît lumineuse. Il y en a d’autres, mais celle-là mérite d’être mise en avant et c’est ce que matali a apporté au festival.

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Sur-Mesure : Vous évoquiez les artistes exposés aux Abattoirs qui travaillent avec le vivant depuis longtemps. En parallèle, les architectes de Constructlab imaginent un jardin de plantes en collaboration avec le personnel et les patients de l’hôpital de La Grave. Ailleurs, les artistes Camille Grosperrin et Julien Desailly conçoivent une installation sculpturale et sonore qui fait entrer en interaction le bois, la céramique et des références à la faune et la flore de la Garonne. Autant d’artistes et d’acteurs qui pratiquent le vivant. Est-ce que c’est aussi ce qu’il manque aux urbains, la pratique du vivant ?

matali crasset : Peut être que la pratique permet que la prise de conscience aille plus vite, parce que nous ne sommes plus que dans la théorie. Mais rappelons-nous qu’en ville - et le festival est l’occasion de le montrer, le vivant est bien là.

Il faut aussi arrêter de penser qu’il faut s’expatrier à la campagne pour commencer à réfléchir au vivant. On peut le faire de n’importe où. Le vivant est parmi nous. Et nous sommes vivants nous-mêmes.

Anne-Laure Belloc : J’ajouterai, pour lier les questions de pratique et de vivant, qu’il y a un troisième ressort dans le projet du ConstructLab que vous citiez : c’est le commun. L’enjeu qui sous-tend tous les projets de ces architectes, c’est de faire des espaces pour être ensemble. L’édition 2023 permet des pratiques collectives qui invitent à s’engager et à agir. Agir pour mieux connaître le vivant, mais aussi agir ensemble tout court.

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Sur-Mesure : matali, revenons sur cette réflexion que vous portez dans le festival avec l’exposition Ce qu'habiter veut dire. Il y a sept maquettes d’habitation ainsi que deux micro-architectures qui prennent place dans l’espace public : pour chacune, vous réfléchissez à des possibilités d’interactions avec leur milieu. Vous parlez de ces projets comme des « utopies domestiques » mais sont-elles si utopiques que cela ?

matali crasset : En tous cas, ce ne sont pas des maisons qui ont été faites pour être construites (rires).
J’ai commencé ce travail justement pour me configurer, pour revenir à mon propos initial. j’ai besoin, pour réfléchir, de matérialiser quelque chose. Durant le confinement, je me suis dit que je ne pouvais pas rester bloquée dans l’éco-anxiété que je ressentais alors. Je voulais me servir de ce moment-là pour trouver d’autres manières de penser : en lisant beaucoup et en matérialisant ce qui m’inspirait dans mes lectures. Cela a donné ces petites maisons que j’ai faites modestement, à partir de cagettes de marché.

Chacune des maquettes représente un scenario de vie. Il y en a une qui part d’une phrase d’Augustin Berque, “sous la maison respire le sol”.

Je me suis demandé ce que ça voulait dire une maison sous laquelle le sol respire. Dans une seconde maison, il s’agit d’habiter avec le vent.

Dans une troisième, j’interroge la restitution. C’est une maison qui va systématiquement proposer de redonner à la Terre et faire en sorte que nos déchets soient des ressources.

Sur-Mesure : Dans le projet « Une idée illimitée du Nord », Ivo Bonacorsi invite les artistes norvégiens Marianne Heske, Lars Laumann et Frida Orupabo à révéler d’autres regards sur leur région d’origine. En parallèle, il y a deux autres projets que vous menez aussi, matali. L’un avec des lycéens et les résidents de l’EPHAD du quartier, avec lesquels vous imaginez une communauté de multipèdes et homopèdes laineux dans un monde imaginaire. L’autre questionnant la maison comme cocon, où vous mettez en scène “des polypores mangeurs de confort”. Ces projets traduisent à la fois le besoin de se recentrer et de décentrer. Pourquoi est-ce si nécessaire ?

matali crasset : Nous sommes dans un état de reconfiguration. Je crois que nous avons besoin de nous recentrer pour essayer de changer un système de pensée très ancré.
Ce n’est pas quelque chose qui se fait en cinq minutes. Il faut trouver plein de formes. Chacun a sa façon de réfléchir et il ne s’agit pas de suivre un dogme.

Il faut sauter sur toutes les occasions pour essayer de convoquer notre sensibilité et développer cette culture du vivant.

Il ne s’agit pas de mettre une couche d’écologie sur nos pratiques mais de repartir de ce que nous sommes et d’où nous venons. C’est ce qui permet de se projeter.

Anne-Laure Belloc : À l’échelle du festival, je dirais que se décentrer, c’est le projet. Non seulement l’artiste associé invité à imaginer l’édition ne doit pas être issu des arts visuels mais nous avons aussi envie de travailler avec des gens qui n’ont jamais fait ça concrètement. Ils acceptent alors de faire un pas de côté. Cela vient interroger et décentrer leurs pratiques habituelles et du coup, par ricochet, la nôtre et l’expérience du visiteur.

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Le Nouveau Printemps 2023 se tient du vendredi 2 juin au dimanche 2 juillet 2023 - du mercredi au dimanche dans le quartier Saint-Cyprien. Retrouvez l’ensemble du programme en ligne sur le site du Nouveau Printemps.

Le festival rassemble des projets de Camille Blandin, Camille Grosperrin, Claudine Monchaussé, ConstructLab, Cornelia Hesse-Honegger, Familles d'artistes, Frida Orupabo, Hélène Bertin, Ivo Bonacorsi, Juli Susin, Julien Carreyn, Julien Desailly, Lars Laumann, Marianne Heske, Marinette Cueco, matali crasset, Pierre La Police, Pierre-Yves Macé, Popline Fichot, PRISMEO, Raisa Aid, Ultra Ordinaire.

Sur le site Internet du festival, découvrez aussi “Je vous écris du Nouveau printemps”, le pendant graphique et épistolaire du festival. Une dizaine de penseurs et d’artistes ont été invités à partager, à travers des textes inédits ou déjà existants, leur regard sur le quartier et les interrogations propres à cette première nouvelle édition. Avec : Hicham Bouzid, directeur artistique de Think Tanger, Nicolas Delbert / le CAUE 31, Vinciane Despret, philosophe, Luc Gwiazdzinski, géographe, Serge Pey, poète, Pauline Marchetti, architecte, et PRISMEO — Anaïs Clara, Elodie Lebeau, Muriel Molinier et Ana Ramos, collectif de chercheuses en sciences sociales. Des extraits choisis de leurs textes sont édités sur une série de cartes postales imaginée en collaboration avec le studio Choque Le Goff.

Photo du bandeau - Le Jardin des Herbes de Sainte-Monique, imaginé par ConstructLab © Margot de Oliveira Antonio