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Habiter, des désirs au projet

Villes en décroissance : vers l’ébauche de solutions adaptées ?

Comment traiter la décroissance urbaine ? Peu d’outils sont à disposition des villes, qui doivent aujourd’hui innover pour faire face à un phénomène d’une ampleur nouvelle. Retour sur l’émergence d’un sujet à part entière et sur un cheminement intellectuel en cours.

Sur-Mesure : Dans notre précédent entretien, vous nous faisiez part des difficultés des pouvoirs publics à se saisir de la problématique de la décroissance urbaine. Quels sont les acteurs qui ont pu se saisir de cette question pour traiter du déclin de certaines villes ?

Sylvie Fol : Ce sont, en France, les organismes HLM qui, en 2015, ont été les premiers à se mobiliser à l’échelle nationale, tout comme en Allemagne, en constatant l’augmentation de la vacance dans leur parc de logements, localisée sur certains territoires1.
Alors que ce terme était et reste encore majoritairement tabou chez les élus locaux et les acteurs nationaux, ils ont insisté sur l’intitulé « décroissance ». Cela n’a pas manqué de susciter des réactions houleuses : Marie-Noëlle Lienemann, Sénatrice, présidente de la Fédération des Coopératives HLM et ancienne Ministre du Logement, s’est indignée, craignant les effets politiques néfastes de l’usage de ce terme.
Ce colloque a ainsi été très utile car les travaux présentés ont mis en évidence le manque voire l’absence d’outils techniques, juridiques et financiers pour les acteurs publics et parapublics dans les territoires en décroissance.

Toutefois, localement, les organismes HLM et les collectivités se sont emparés des outils disponibles : le PNRU (Programme National pour la Rénovation Urbaine) a permis de financer des programmes de démolitions sans reconstruction, l’ANRU abandonnant progressivement pour ces territoires le principe du 1 pour 1 (c’est à dire la construction d’un logement pour un logement détruit). Le PNRQAD (Programme National pour la Rénovation des Quartiers Anciens Dégradés) est également mobilisé, pour des opérations lourdes de restructurations, démolitions, curetages d'îlots et réhabilitations de logements.
Depuis 2015, les organismes HLM font ainsi du lobbying pour obtenir des outils spécifiques aux situations de décroissance urbaine. La Caisse des Dépôts et Consignations les a entendus et a mis en place des prêts particuliers pour financer les démolitions. Peu à peu, l’idée fait son chemin et de plus en plus d’acteurs nationaux sont réceptifs à la nécessité de traiter la situation.

Alors que ce terme était et reste encore majoritairement tabou chez les élus locaux et les acteurs nationaux, les organismes HLM ont insisté sur l’intitulé « décroissance ».

Sur-Mesure : D’autres événements ont-ils permis de mettre au jour la problématique de la décroissance urbaine ?

Sylvie Fol : La problématique du déclin urbain a en effet également émergé via la mise en lumière du phénomène de dévitalisation des centres-villes. Même si cette thématique est davantage issue du constat de la vacance commerciale - lorsqu’on lit par exemple le livre d’Olivier Razemon2 qui a grandement participé à mettre à l’agenda cette notion - c’est à la fois la vacance du commerce, du logement, les phénomènes démographiques et migratoires, qui sont plus globalement mis en relief.
Il faut cependant noter que la dévitalisation des centres-villes ne touche pas seulement des villes en décroissance, mais aussi des villes moyennes comme Béziers par exemple, qui appartient à une agglomération en forte croissance démographique.

Sur-Mesure : D’autres programmes nationaux que ceux promus par l’ANRU sont-ils mobilisables pour traiter la décroissance urbaine et ses effets sur l’habitat ?

Sylvie Fol : Une panoplie d’outils s’est développée : dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour les centres-bourgs, par exemple, 54 villes ont été sélectionnées dont beaucoup de petites villes en décroissance. On retrouve ensuite tous les outils classiques comme les OPAH ou OPAH-RU, de plus en plus mobilisés. La Caisse des Dépôts s’est aussi beaucoup investie pour mettre en place le dispositif « Centres-villes de demain » afin d’aider les villes moyennes à initier des diagnostics complets puis des politiques de revitalisation, avec deux critères principaux : la transversalité des politiques et l’échelle de réflexion, portée au niveau intercommunal.

Sur-Mesure : Le gouvernement actuel innove-t-il en la matière à travers ses premières mesures de mandat ?

Sylvie Fol : Le dispositif « Action cœur de ville », annoncé en décembre 2017 par Jacques Mézard, Ministre de la Cohésion des territoires, s’appuie sur le même type d’outils. Certains acteurs regrettent cependant que les dimensions économiques et commerciales soient trop peu traitées, et c’est finalement dans l’habitat que les dispositifs déployés sont les plus intéressants. Mais ce ne sont pas à proprement parler de nouveaux dispositifs : on propose aux villes volontaires pour y entrer de les aider à financer une ingénierie et des diagnostics leur permettant d’envisager des stratégies qui mobilisent tous les outils évoqués précédemment.

Ce ne sont pas à proprement parler de nouveaux dispositifs : on propose aux villes volontaires de les aider à financer une ingénierie et des diagnostics leur permettant d’envisager des stratégies qui mobilisent tous les outils déjà évoqués.

Sur-Mesure : A-t-on de premiers retours sur l’application de ces initiatives ?

Sylvie Fol : Pas vraiment. On sait simplement que les grandes lignes annoncées sont pertinentes : travailler à plusieurs échelles, faire des choix politiques importants en priorisant certains territoires, avoir une vision transversale des thématiques traitées. Les villes petites et moyennes, particulièrement lorsqu’elles sont en décroissance, ont absolument besoin de la solidarité nationale et d’une intervention de l’Etat.

Au niveau local, en étudiant les politiques mises en place dans la génération précédente, nous avons constaté dans les villes que nous avons analysées que les élus locaux avaient beaucoup de difficultés à sortir des politiques classiques, axées sur la restauration de l’attractivité de la commune ou de l’agglomération. Pourtant les zones d’activités économiques créées dans cette optique, comme à Forbach, sont peu remplies et les programmes résidentiels neufs visant à accueillir des jeunes ménages, des familles, des cadres, risquent de continuer à déstabiliser le marché. Ces politiques sont centrées sur l’idée d’attirer des personnes de l’extérieur et parfois trop peu soucieuses des habitants déjà présents.

Les élus locaux ont beaucoup de difficultés à sortir des politiques classiques, axées sur la restauration de l’attractivité de la commune ou de l’agglomération.

Sur-Mesure : Comment infléchir et modifier l’appréhension de cette problématique par les collectivités ?

Sylvie Fol : Dans ces situations, il est nécessaire que les élus prennent acte du fait que la « période de gloire » de leur ville est passée, qu’elle ne gagnera plus de population, et qu’elle entre désormais dans une phase nouvelle dont il s’agit de tirer parti. La décroissance est une situation qui n’est pas totalement dépourvue d’atouts : elle met sur le marché des logements à bas prix, rend de nombreux espaces disponibles et valorisables.
En sortant de l’obsession de l’attractivité, il est possible de faire émerger les ressources locales et notamment la ressource humaine, bien présente. On peut créer des activités plus adaptées aux qualifications des populations locales. Par exemple, à Vitry-le-François, commune en grande difficulté, le réseau de chaleur urbaine a été racheté par la municipalité de manière à vendre de la chaleur tout en créant des emplois locaux3. D’autres villes, comme Forbach, misent sur le développement des circuits courts alimentaires.

La décroissance est une situation qui n’est pas totalement dépourvue d’atouts.

Sur-Mesure : Dans cette optique, en termes de logements et d’habitat, ces villes peuvent-elles devenir le support de l’invention de formes d’habiter nouvelles ou différentes ?

Sylvie Fol : On trouve en effet quelques initiatives intéressantes : la maison à 1€ à Roubaix par exemple, est une expérience que l’on ne peut mettre en place que dans une ville en décroissance.
Ensuite, les solutions mises en œuvre pour le moment demeurent assez classiques : la démolition, qui fait ensuite émerger la question intéressante de l’occupation de l’espace libéré. Souvent, des formes collectives ou associatives interviennent dans la gestion de ces espaces, comme à Vitry-le-François. Mais cela ne fonctionne pas toujours car certaines populations sont tellement précarisées qu’elles ont des difficultés à s’organiser collectivement.
Il faut aussi travailler sur la réhabilitation, ce qui implique de trouver les ressources pour améliorer l’habitat existant, récent ou ancien dégradé. Cependant, l’intérêt financier est dans les conditions actuelles, quasi-inexistant pour les opérateurs classiques, si bien que les offices HLM tentent de proposer leurs compétences. Ils font cependant souvent face à un travail de conception et à des investissements longs et importants pour produire in fine seulement quelques logements.
A Roubaix également, la commune a lancé des programmes d’accession sociale à la propriété pour retenir ses habitants et réhabiliter l’habitat ouvrier dégradé4, ayant constaté que les ménages d’ouvriers quittaient la ville dès qu’ils en avaient les moyens pour s’installer en périphérie lilloise.

En définitive, on observe que lorsque les villes prennent conscience de la nécessité de travailler sur et avec l’existant, plutôt que de relancer leur attractivité, elles font en sorte, avec les moyens disponibles et en s’appuyant sur les populations locales, de revaloriser le parc résidentiel déjà là et plus généralement, les ressources du territoire.

Sur-Mesure : Vous décrivez des processus qui ressemblent beaucoup à ceux que l’on constate dans les quartiers de la Politique de la Ville, alors même que ces derniers se situent souvent à proximité des pôles économiques. Voyez-vous des parallèles à faire entre ces quartiers et l’étude des villes en décroissance ?

Sylvie Fol : Dans les deux cas, le fait marquant est celui des inégalités socio-spatiales. Dans les villes en décroissance, elles y sont très accentuées. La décroissance crée des recompositions socio-spatiales : les populations se redistribuent sur le territoire et les inégalités s’accroissent entre le centre et la périphérie, avec des populations « aisées » qui tendent, lorsqu’elles se retrouvent en faible nombre, à se regrouper dans des communes périurbaines ou des secteurs urbains particuliers tandis que les villes-centres ont tendance à s’appauvrir5.

Cette situation est difficilement comparable à celle des grands ensembles, où l’on observe généralement une forte tension démographique et une absence de vacance, sans qu’on puisse par ailleurs parler d’une situation économique dégradée : à l’échelle des agglomérations, l’emploi existe mais ne correspond pas à la formation et aux qualifications des populations en présence. Dans les villes en décroissance, on est dans une situation plus difficile encore, car la ressource économique est en l’occurrence souvent absente. Dans les deux cas, l’intervention de l’Etat s’impose car les ressources locales sont insuffisantes.

Dans les villes en décroissance, on est dans une situation plus difficile encore, car la ressource économique est en l’occurrence souvent absente. Dans les deux cas, l’intervention de l’Etat s’impose car les ressources locales sont insuffisantes.

Sur-Mesure : Un mot pour conclure sur le sujet ?

Sylvie Fol : Ces villes en décroissance sont des territoires où l’on voit, quand on les parcourt et qu’on s’y intéresse, que les inégalités liées aux évolutions des sociétés urbaines ont des traductions économiques, sociales et spatiales marquées. Tout comme les banlieues des grandes villes, sont des territoires passionnants à étudier, qui concentrent les contradictions de notre société.


  1. En juin 2015, l’Union Sociale pour l’Habitat et la Fédération des Offices Publics HLM ont organisé une première conférence au Creusot, afin de valoriser des travaux réalisés sur la question de la vacance dans les territoires en décroissance.  

  2. RAZEMON O., Comment la France a tué ses villes, 2016, Rue de l’échiquier, 208 p. 

  3. Yoan Miot, Max Rousseau, op.cit. 

  4. Voir les travaux de Yoan Miot https://latts.fr/chercheur/yoan-miot/ 

  5. Voir les travaux de Julie Chouraqui au sujet de Dunkerque : « Décroissance urbaine et dynamiques socio-spatiales : quelles relations ? Exemple du cas dunkerquois », Mémoire de Master 2 sous la direction de Leïla Frouillou et Sylvie Fol, Projet ANR Altergrowth, URL : https://f-origin.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2796/files/2017/10/M%C3%A9moire-Julie-Chouraqui-1-Dunkerque.pdf 

Pour citer cet article

Sylvie Fol, « Villes en décroissance : vers l’ébauche de solutions adaptées ? », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 17/04/2018, URL : https://www.revuesurmesure.fr/contributions/villes-en-decroissance-vers-lebauche-de-solutions-adaptees