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Natures urbaines et citoyennetés

On the Ro(c)ad(e) : voyage initiatique sur le périphérique Nantais

Redécouvrir Nantes en arpentant sa lisière, tel est le projet des Périféériques. C'est à vélo que le collectif parcourt la rocade, sillonne les abords de la ville et nous livre ses découvertes. Le paysage urbain est décortiqué, approprié, raconté, interrogé : parler de frontière entre ville et nature a-t-il toujours un sens ?

« Je ne cherche pas ici à faire le portrait d'une ville. Je voudrais seulement essayer de montrer [...] comment elle m'a formé. »

Lorsque Julien Gracq se remémore ses promenades nantaises et en écrit La forme d’une ville (1985), c’est le cœur de la cité des Ducs qu’il conte, de Graslin au quai de la Fosse. C’est encore ce cœur de ville qui s’anime chaque été de la ligne verte du Voyage à Nantes, parcours artistique à ciel ouvert, emblématique de la nouvelle vocation touristique nantaise. Sortez vos téléphones pour le trouver, Google Maps le délimite depuis peu d’une teinte marron synonyme de centre d’intérêt. Et si l’on en sortait, et si l’on partait en voyage dans l’envers de la ville, l’espace des infrastructures, des fonctions délimitées, des entre-deux et des interstices ? Et si la périphérie révélait une toute autre forme, un tout autre portrait de notre urbanité et de son rapport à la nature ?

« Et si l’on partait en voyage dans l’envers de la ville, l’espace des infrastructures, des fonctions délimitées, des entre-deux et des interstices ? »

Les Périféériques, c’est une aventure de groupe, un « pas de côté » animé par une curiosité soudaine pour un objet singulier et ingrat, pourtant commun à la plupart des « grandes villes » françaises : le périphérique. Hérité de l’ère du tout-voiture et de l’homo automobilis, appelé Rocade à Bordeaux, Périf’ à Paris ou Tangentielle à Orléans, long de 43 kilomètres à Nantes, il constitue à la fois le système nerveux de la ville, permettant à 100 000 automobiles de s’y connecter chaque jour, et sa frontière tantôt physique, tantôt psycho-culturelle, une frontière artificiellement ronde, tracée par l’ingénieur des ponts et chaussées.

L’objectif des Périféériques : boucler un tour de Nantes, à vélo et en quatre étapes, le temps de quatre soirées ouvertes à tous.
Le principe : suivre le périphérique, en empruntant tous les sentiers qui permettent de le longer, le chercher, s’y frotter ou le survoler.
Le bilan : une centaine de kilomètres, 70 curieux redécouvrant leur ville, 9 communes, 20 traversées de périf’, 5 centres commerciaux, une dizaine de terrains d’accueil des gens du voyage, et surtout un fantastique dégradé d’urbain... ou de nature, à moins qu’il ne s’agisse d’une subtile composition aux équilibres changeants, entre ville verte et végétation urbaine. Car le périphérique, par son tracé rationnel, traverse des espaces divers et en ruptures constantes, formant ainsi un terrain idéal pour observer les multiples formes que peut prendre aujourd’hui la nature en ville.

« Une subtile composition aux équilibres changeants, entre ville verte et végétation urbaine. »

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Photo : Martin Prot
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Photo : Thibault Berlingen

Une ville dans un jardin

Mais avant d’esquisser un carnet de balade, revenons brièvement sur le « cas d’école » que peut constituer Nantes en matière de nature urbaine. Port des grands navigateurs qui ramenèrent d’innombrables essences exotiques pour fournir le Jardin des Apothicaires, ex-Jardin des Plantes, il y a 400 ans, la ville a toujours eu un rapport particulier à l’horticulture, au paysage et à la biodiversité. Capitale verte européenne en 2013, Nantes a totalement reconsidéré la position de la nature en ville, glissant d’un cloisonnement aux jardins publics à une généralisation dans tout projet urbain : « Ville aux cent jardins, Nantes est peut-être en train de devenir une ville dans un jardin » analyse Thierry Guidet1. De fait, du réaménagement du centre-ville piétonnisé aux nouveaux quartiers phares de la métropole, le traitement tant ornemental que récréatif de la végétation a pris une place prépondérante. Que nul ne s’étonne alors de la nomination d’une paysagiste, Jacqueline Osty, à la tête de la nouvelle équipe de maîtrise d’œuvre urbaine de l’Île de Nantes, du choix du projet « ville-nature » de Frédéric Bonnet pour la ZAC Pirmil-les-Isles ou encore de la confection prochaine d’un « jardin extraordinaire », ancienne carrière du Bas-Chantenay transformée en parc naturo-ludique de 3,5 hectares. Avec 16 millions d’euros d’investissements dans la création d’espaces verts (quatre fois plus que les autres villes)2, la nature gagne finalement tous les champs des politiques locales. Jusqu’à la concertation citoyenne, fer de lance de l’équipe municipale qui a créé un « Conseil Nantais de la Nature en Ville » et animé un « Grand Débat » sur la Loire, visant à se réapproprier les berges anciennement dédiées à l’industrie.

Trêve de bavardage et de centralité, regagnons nos Périféériques et revivons quelques bribes de nature segmentées de remblais et de bitume, au fil des quatre étapes et des fragments d’un carnet de route improvisé entre deux tours de pédales. Peut-être y trouverons-nous même, enfin, la vraie limite entre nature et ville ?

Vertou, Orvault, Rezé… un peu de toponymie pour débuter !

Vertou, du celtique vertaw , « ruisseau pacifique » tel la Sèvre. Orvault, du latin orsvaldum, « bordure de forêt », ou aurea vallis « vallée d'or » qu’est celle du Cens jonché de jonquilles. Rezé, du latin ratiaca, du gaulois ratis « fougère », « fougeraie ». Sommes-nous perdus dans la campagne ligérienne ? Non, nous longeons le périphérique, traversant trois communes de banlieue nantaise, qui totalisent près de 100 000 habitants.

« Une bonne vieille carte topographique IGN 1/25 000, celle qui donne à voir, entre le trait rouge épais du Périphérique et les pointillés noirs des sentiers incertains, la physionomie urbaine. »

Les Périféériques ont commencé avec un tracé, un repérage au crayon sur une bonne vieille carte topographique IGN 1/25 000, celle qui donne à voir, entre le trait rouge épais du Périphérique et les pointillés noirs des sentiers incertains, la physionomie urbaine, ainsi qu’un condensé de lieux-dits et autres appellations. Les Ajoncs, Les Bruyères, la Métairie, Le Bois Briands, Les Hauts Moulins, ou encore le centre commercial Grand Val : en pleine ville, les noms des lieux et quartiers étonnent par leur anachronisme, ancrés dans une époque révolue et pourtant pas si lointaine. Lorsqu'on superpose une ancienne carte d’Etat-major, ou celle de Cassini à la vue actuelle, on y retrouve cette toponymie rurale ou agricole dans son contexte historique, avant les vagues d’urbanisation post-seconde guerre mondiale, avant même la première tentative de ceinturer l’urbain au sein de boulevards périphériques circulaires3. L’espace change, grignoté par la ville, mais les noms restent, usés chaque jour par des habitants qui en ont oublié le sens premier, témoignant pourtant d’une nature présente ici, hier. Ironie des noms, nous pédalons lors de la première étape à travers un lotissement de Saint-Sébastien-sur-Loire qui figure sur l’IGN sous le nom mystérieux de La Fontaine. On apprendra qu’il fut attribué il y a 35 ans à la ZAC4 en souvenir de la ferme La Fontaine, qui cultiva ici en pionnière la pomme Golden, importée des Etats-Unis, variété reine en France de nos jours...

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Extrait d’Orvault, Carte topographique IGN. ©Geoportail
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Extrait d’Orvault, Carte d’Etat-major (mi-XIXe siècle). ©Geoportail
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Projet de Roux-Spitz pour la reconstruction de Nantes, 1945 (avec la 1ère ceinture des boulevards périphériques existante et le projet d’un périphérique au nord). ©Archives municipales

Du Bois des Gripots aux châteaux perdus

À Saint-Sébastien justement, on apprend qu’il existait, là où s’élance le périphérique, « les plus belles et grandes » laitues du pays… c’est Gargantua lui-même qui l’affirme, des salades « grandes comme pruniers ou noyers » nous conte François Rabelais dans un épisode où le géant dévore six pèlerins sébastiennais. Sous nos yeux, peu de terres maraîchères, mais dans nos narines rôde une alléchante odeur de tarte aux pommes… annonçant la gigantesque usine de la Biscuiterie Nantaise que nous découvrons au sortir d’un nouveau lotissement ! À l’ère des laitues, la fabrique à BN se trouvait encore au cœur de l’Île de Nantes, face à l’actuelle École d’Architecture, mais l’île a changé de vocation et en périphérie l’agriculture à fait place à l’agroalimentaire, Cassegrain et confrères.

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Photo : Olivier Guitard

Nous passons sous le périph’ une fois, une deuxième, puis atterrissons entre un Courtepaille et un restaurant marocain dont l’architecture pastiche connote cette zone commerciale d’un exotisme certain. Si cet espace voué à l’automobile semble n’être fait que de parkings et culs-de-sac, l’IGN révèle par un fin trait noir une petite percée que nous décidons de suivre et qui nous projette en pleine forêt. Le Bois des Gripots, 31 hectares de « vraie nature » coincés entre Quick, le périph’, Jardiland et la « rue des Plantes », parsemée de pavillons réguliers aux toits de tuiles orangées.

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Photo : Thibault Berlingen
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Bois des Gripots - Photo : (link: http://olivierguitard.fr/ text: Olivier Guitard)

Un peu plus loin, au fil des trois étapes suivantes, nous retrouvons ces morceaux de forêt perdue, segmentés, qui s’accompagnent maintenant d’une série de châteaux, demeures du 19e siècle construites au coeur de parcs verdoyants sur les rives de l’Erdre, de la Sèvre ou du Cens, « Folies Nantaises » de riches négociants ou industriels. À Sainte-Luce, le Château du Bois-Briand, monument national, a traversé les siècles depuis 1405 jusqu’à voir dans les années 1990 son jardin à la française découpé par un lotissement, qui en épouse parfaitement la forme, s’accolant au miroir d’eau resté intact.

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Vue satellite de l’ancien domaine du Château de Bois-Briand et de son vaste miroir d’eau (à droite de la photo) - ©Google Maps

Ville/nature, entre juxtaposition et superposition

Quartiers et infrastructures semblent passer outre la configuration naturelle ou l’histoire des lieux pour ne suivre qu’une stratégie, celle de se positionner au plus près du périphérique, à l’image du nouveau MIN5 qui comme les BN, déménage de l’île centrale vers des terres jusqu’alors agricoles.

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À gauche, travaux en cours pour l’installation du MIN. À droite, une nature périphérique encore épargnée par les grands projets métropolitains. Photo : Thibault Berlingen
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Des terres agricoles au nouveau Marché d’Intérêt National, cœur d’un pôle agroalimentaire aux portes du périphérique. Image : Nantes Métropole

Mais hier, d’autres voies stratégiques quadrillaient déjà la campagne pour y préfigurer la ville. Profitant certes du cadre bucolique de la confluence Loire-Aubinière, le château de Bois-Briand fut surtout érigé le long de la plus ancienne voie gallo-romaine de la région. Ancêtres de nos autoroutes urbaines, ces axes historiques furent souvent ponctués de croix et calvaires, et si l’on remonte le temps, leur tracé explique aussi le positionnement de certains menhirs qui bornaient les voies de transhumance. C’est un de ces mégalithes de quinze tonnes, pittoresque patrimoine local, que nous découvrons en plein coeur d’un lotissement des Sorinières dont les rues ont été judicieusement nommées de noms de peuples celtiques : Avernes, Helvètes et autres Nanmnètes (qui donnèrent leur nom à Naoned Nantes).

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Mehnir de Haute-Lande, Les Sorinières. Photo : Olivier Guitard

Nos échappées virent au tourisme et nous font ainsi traverser à plusieurs reprises les strates de la villes, couches historiques superposées comme à Saint-Herblain, 2e ville de la métropole, où le Zénith (autre équipement habituel des sorties de périphériques) fut construit sur des vestiges archéologiques de l’âge de bronze. Ici, entre le plus grand centre commercial de l’Ouest et le périphérique, trône le Cours Hermeland. Cette bande de 150 hectares est sanctuarisée en poumon vert, conçu dans les années 1990 comme « centre fédérateur » d’une commune alors déboussolée par son urbanisation pressante. Faire d’un espace naturel la centralité d’une ville ? Une stratégie aussi originale que les paysages de ce parc urbain, qui compte entre autre une ancienne carrière de pierre où pousse un jardin méditerranéen (la géographie du lieu lui conférant un microclimat propice, à l’abri des vents), ou une décharge désaffectée transformée en colline artificielle culminant à 16 mètres... au dessus de 6 millions de mètres cubes de déchets ménagers !

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Le Zénith de Saint-Herblain, construit au cœur du Cours Hermeland, coulée verte ponctuée de grands équipements métropolitains. Photo : Philippe Ralaincourt
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Prairie de Loire, décharge puis parc public : sur le site de Tougas à Saint-Herblain, la végétation a désormais repris ses droits… au dessus de 6 millions de m3 de déchets (en arrière-plan, la zone industrialo-portuaire et le pont de Cheviré qui permet au Périphérique de traverser la Loire). Photo : Thibault Berlingen

Tantôt oubliée, tantôt retrouvée, toujours transformée, la végétation est constitutive de la métropole Nantaise, qui s’est construite au fil d’un environnement privilégié, parcouru d’un fleuve et de quatre rivières. À chercher autour du Périphérique la véritable frontière entre ville et nature, nous mesurons non seulement son évolution et sa malléabilité, mais surtout cette porosité constante qui réfute l’idée que ville et nature soient deux concepts, deux espaces antinomiques. Parcourir cet espace transitoire où se confondent nature naturelle et nature « artificialisée », c’est observer comme la ville pousse et parfois flétri, comme elle plante de nouvelles racines, l’infrastructure routière servant d’axe de pollinisation et de diffusion où vient butiner une population urbaine croissante. Ce tour de ville aux moultes surprises (on en aura extrait ici qu’un aperçu) ne nous aura ainsi pas tant appris sur la forme-même de la ville que sur la façon dont la ville nous forme, pour en revenir à Julien Gracq. Cette « formation » urbaine, ce serait notre aptitude en tant qu’Êtres citadins à conquérir l’espace, essaimant nos activités selon un schéma finalement bien similaire à celui de la nature elle-même !

« Le flâneur herborise le bitume, à l’affut des visages ou des lieux, en quête de curiosités personnelles (Walter Benjamin, Sens unique). »

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Troupeau du périphérique (Bouguenais). Photo : Olivier Guitard


  1. Journaliste et fondateur de Place publique, revue nantaise de réflexion et de débat sur les questions urbaines, dont un hors-série très complet consacré à Nantes, ville-nature.  

  2. « Nantes, ville verte par choix », billet de Johanna Rolland, Maire de Nantes, 2 juillet 2017. 

  3. Érigés entre 1971 et 1893, il encerclent Nantes dans un diamètre de six kilomètres, moitié moins que le Périphérique actuel. 

  4. Zone d’Aménagement Concerté 

  5. Marché d’Intérêt National 

Pour citer cet article

Thibault Berlingen, « On the Ro(c)ad(e) : voyage initiatique sur le périphérique Nantais », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 21/09/2017, URL : https://www.revuesurmesure.fr/contributions/on-the-ro-c-ad-e