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Reprendre la ville

Fragments du Vieux Pays de Goussainville

partir du déjà-là pour améliorer les espaces du quotidien

Lauréat du concours d'idées Europan, un collectif d'architectes propose de redynamiser le Vieux Pays de Goussainville. Leur démarche en trois temps a mobilisé l'ensemble des parties prenantes et a permis d'expérimenter des aménagements autour du réemploi, qui s'appuie sur les acteurs économiques, les savoir-faire et les matières premières locales.

Un village face à un aéroport

Le quartier le « Vieux Pays » est le village historique de Goussainville (commune du Val d’Oise). Au début des années 1970, l’implantation de l’aéroport Charles de Gaulle classe le village en zone B et C du Plan d’Exposition au Bruit (PEB) le rendant en partie impropre à l’habitation. Aéroports de Paris (ADP), alors légalement contraint de racheter les logements des habitants désireux de quitter le village, cherchera quelques années plus tard à les démolir pour se décharger de leur entretien. La présence au centre du village de l’église Saint-Pierre-Saint-Paul, classée « Monument Historique » soumet le permis de démolir à l’accord de l’Architecte des Bâtiments de France. Ce dernier choisi de protéger la structure urbaine du village agricole et s’oppose à la démolition d’une majorité des maisons rachetées par ADP. N’étant plus entretenues, elles sont livrées à une ruine progressive. Si au début du XXème siècle, le village comptait 3000 habitants, il n’en compte aujourd’hui plus que 3001.

Bien qu’en partie habité, le Vieux Pays véhicule malgré lui l’image d’un « village fantôme » et attire de nombreux curieux, adeptes de « l’Urbex »2. Il fait l'objet d'articles sur les lieux insolites à visiter en Île-de-France et accueille shootings photos, tournages de films ou clips musicaux. Ces usagers ponctuels attirés par une forme de voyeurisme cohabitent mal avec des villageois qui vivent négativement cette notoriété subie.

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L’angle de la rue de la Suef et de la rue Brûlée, au second plan l’église Saint Pierre Saint Paul. © Collectif Hyacinthe s’Imagine.

Un cadre préservé attractif à l’échelle communale et intercommunale

Ce lieu constitue un cas singulier, son développement verrouillé par une imbrication de cadres réglementaires conduit à la fois à une dégradation des bâtiments mais aussi à une préservation du paysage et de la structure urbaine remarquable. Bien qu’éloigné des centralités actuelles, il reste fréquenté par les Goussainvillois et les habitants des communes voisines. Consciente de ces atouts et ayant racheté les maisons d’ADP à l'euro symbolique en 2009, la Ville de Goussainville s’associe à la Communauté d’Agglomération Roissy Pays de France (CARPF) pour inscrire le Vieux Pays au concours d’idées Europan de 20153. Trois équipes sont retenues et décident de se réunir afin de mener ensemble une étude sur le village. Elles constituent alors le Collectif Hyacinthe s’Imagine en référence à Hyacinthe Drujon, ancien habitant du village qui a donné son nom à la place centrale.

La première phase est l'occasion d'engager le dialogue entre les différents acteurs autour de leurs représentations du Vieux Pays

Intégrer les représentations du Vieux Pays pour améliorer l’appropriation

Réalisant que tout projet sur le Vieux Pays ne sera possible que si les collectivités, les services de l'Etat, les habitants et les acteurs de la société civile coopèrent, le collectif décide alors d’engager un processus de participation qui durera toute l’étude en adaptant sa forme en fonction des acteurs à impliquer et des sujets à traiter.

Visant la production d’un état des lieux du village, la première phase est abordée comme une occasion d'engager le dialogue entre les différents acteurs autour des représentations qu’ils en ont. Le collectif Hyacinthe a fait équipe avec le collectif Topoï4, reconnu pour sa capacité à mener des actions de participation envers les habitants.

Les récits de chacun se superposent à plusieurs échelles, s’accumulent, interagissent, voire se contredisent

Tout d’abord, des itinéraires individuels sont menés avec des personnes clefs pour le Vieux Pays5, ce format d’entretiens réalisés en marchant suivant un circuit décidé par l’interviewé permet d’accéder à ses représentations spatiales et symboliques du territoire. Un atelier cartographique sur quatre journées, permet ensuite de réunir un plus grand nombre d’habitants6. Les récits de chacun se superposent à plusieurs échelles, s’accumulent, interagissent, voire se contredisent. Enfin, trois promenades thématiques sont organisées sur les sujets du patrimoine, du paysage et des ambiances sonores et olfactives. Un dispositif mené en groupe, moment d’échanges et de confrontations des savoirs habitants et d’experts qui permet un dialogue entre les différents types d’acteurs impliqués pour le territoire.

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Les ateliers cartographiques. © Collectif Hyacinthe s’Imagine.

Révéler les qualités du quotidien

Cette première phase se conclut par une journée de restitution où l’ensemble des matériaux récoltés sont exposés puis mis en débat dans des tables rondes7 réunissant habitants et élus : la parole circule, les profils se mélangent, des voisins se découvrent… Les résultats de ce travail sont consignés dans un journal au format court et accessible remettant en récit les expériences des habitants du village. La mise en lumière des qualités occultées par l’urgence de la gestion d’un village permet de bousculer les représentations négatives et d’ouvrir de nouveaux champs de réflexion. Le village que certains perçoivent comme définitivement abandonné s’avère être pour beaucoup un lieu qui bénéficie des qualités d’un « ailleurs », un lieu de villégiature important dans leurs pratiques du territoire.

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Le journal : Le Vieux Pays de Goussainville s’Imagine. © Collectif Hyacinthe s’Imagine.

Une coopération entre les deux échelles de gouvernance permet également, dès la phase diagnostic, d’envisager des actions qui contribuent à affirmer le rôle territorial que le village a à jouer

Ce portrait partagé est également une première collaboration entre la Ville et la Communauté d’Agglomération sur des processus participatifs de cette nature. L’expérience met en lumière des appréhensions différentes. D’un côté des élus inquiets de ne pas pouvoir répondre aux attentes provoquées chez leurs administrés par cette concertation. De l’autre des techniciens qui souhaitent accompagner ces démarches et deviennent des soutiens incontournables à sa mise en place. La coopération entre les deux échelles de gouvernance permet également, dès la phase diagnostic, d’envisager des leviers transversaux, comme des actions bénéficiant à l’ensemble de la CARPF (réouverture d’une rivière busée, installation d’un pôle de conservation pour des collections archéologiques), qui contribuent à affirmer le rôle territorial que le village a à jouer.

Penser l’aménagement à partir de l’économie sociale et solidaire

Grâce au diagnostic, de nombreuses synergies apparaissent entre des initiatives économiques engagées sur le territoire. Les mettre en avant permet d’affirmer qu’il n’est pas nécessaire d’attendre de grands investissements pour commencer à rénover le village. De premières initiatives pourraient être lancées à petite échelle en rupture avec les modèles économiques plus classiques.

La deuxième phase de l’étude est menée en partenariat avec le bureau d’études Le Sens de la Ville8 qui réalise une analyse des vocations du site. Durant cette étape, les services dédiés au développement économique de la CARPF et de la Ville se penchent sur le projet, permettant à l’étude de s’adosser à des outils déjà mis en place par leurs soins, notamment « le comptoir des projets de l’ESS9 » qui accompagne la création d’entreprises sur le territoire.

Les possibilités pour associer des entreprises de l’économie sociale et solidaire dans un projet économique pour le Vieux Pays sont explorées

L’étude programmatique et économique identifie un réseau important de structures de l’économie sociale et solidaire (notamment autour de la construction et du bâtiment) ainsi qu’un potentiel spatial et fonctionnel pour assurer son développement sur le Vieux Pays. Envisageant cette spécificité comme une opportunité pour la rénovation du Vieux Pays, l’équipe sollicite la Manufacture Coopérative10 afin d'organiser un atelier. Cette action explore les possibilités pour associer des entreprises de l’économie sociale et solidaire dans un projet économique pour le Vieux Pays. Une approche qui propose de valoriser la place que pourraient prendre les initiatives individuelles, entrepreneuriales ou associatives dans la dynamique du projet urbain pour le Vieux Pays.

Réparer le quotidien avec des ressources matérielles et mémorielles trouvées sur place

L’étude se conclut par l’élaboration de scénarios pour entamer une phase opérationnelle. Cette étape a permis d’associer le service culturel de la CARPF qui étudie, en parallèle, l'installation sur le village d'un équipement intercommunal : le pôle de conservation et valorisation des collections archéologiques du patrimoine. Ce lieu, qui prévoit une possibilité d’ouverture au public, valorise un village qui incarne une histoire particulière de la Plaine de France, un espace agricole impacté par de grandes infrastructures métropolitaines. Le collectif Hyacinthe s’Imagine propose de partir des ressources matérielles et des savoir-faire présents dans le Vieux Pays pour commencer à agir concrètement sur des lieux stratégiques, ciblés pendant les ateliers pour y développer de nouveaux usages.

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Processus de valorisation des matériaux récoltés au 16 rue Gaudry. © Collectif Hyacinthe s’Imagine.

La transformation des gravats est un moyen de s'appuyer sur les ressources du site qu'elles soient matérielles ou relatives au savoir-faire

Le collectif propose la récupération de gravats issus d’une maison éboulée, au numéro 16 de la rue Gaudry, pour réaliser des interventions dans les espaces publics. Dans le but de mettre en valeur les activités économiques présentes dans le Vieux Pays, le collectif Hyacinthe s’Imagine associe à la démarche une entreprise de pavage installée à l’entrée du village, la Société Fernand Pose. La transformation des gravats veut répondre aux attentes des habitants, par l’amélioration du paysage urbain, la réduction des dangers liés aux ruines et la création de mobilier. C'est aussi un moyen de s'appuyer sur les ressources du site qu’elles soient matérielles ou relatives aux savoir-faire. Enfin, la démarche de réemploi permet d’initier une dynamique de changement du regard porté sur les ruines.

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Matérialité des préfigurations “16 rue Gaudry”. © Sarah Cantaloube
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Inauguration des préfigurations “16 rue Gaudry” lors de Journées Européennes du Patrimoine 2019. © Collectif Hyacinthe s’Imagine.

Finalement, ces aménagements permettent de laisser libre cours à une appropriation non prévue du Vieux Pays

Inaugurés à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine 2019, ces aménagements ont naturellement rencontré les usages auxquels ils s’adressaient : pouvoir s’asseoir dans le parc, offrir la possibilité de se réunir sur la place occupée par les voitures, se promener le long de la rivière destinée à être ré-ouverte, s’asseoir pour attendre le bus. Mais aussi de laisser libre cours à une appropriation non prévue qui contribue à améliorer encore davantage le cadre de vie du Vieux Pays. L'événement d'inauguration destiné aux enfants, a également permis d’organiser des ateliers avec des écoliers de Goussainville et de réfléchir avec eux à la fois à la matière (organisation d’un atelier de béton), aux objets (visite des mobiliers) et à l’histoire : une manière d'interroger le sens qu’a le Vieux Pays dans la perception de leur ville.

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S'asseoir dans le parc et sur la place. Les préfigurations “16 rue Gaudry”. © Sarah Cantaloube

La démarche du projet urbain imaginée pour le Vieux Pays se base sur les potentiels et les intelligences en présence dans le village afin d’y améliorer le cadre de vie, tout en gardant comme fil rouge le rôle que peut jouer ce lieu dans le territoire de la Plaine de France. Ainsi, bien que de nombreuses inconnues subsistent quant à l’avenir de ce lieu, l’étude aura contribué à réparer et inventer des éléments du quotidien.

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Signalisation du départ du chemin le long du Croult. Les préfigurations “16 rue Gaudry”. © Sarah Cantaloube

Maîtrise d’oeuvre
Collectif Hyacinthe s’Imagine : Le Bivic Camille (Base Vie), Blaise Frédéric (agence alt), Duranel Guillaume (agence alt), Lenoir Julia (agence alt), Vidaling Florent (Base Vie)
Collectif Topoï : Grassiot Flore, Mialon Antoine
Le Sens de la Ville : Josso Vincent, Rahmouni Fanny
La Manufacture Coopérative : Ballon Justine, Chautagnat Jean Luc
Altitude 35 : Barnoud Benoît, Loukkal Clara
Maîtrise d’ouvrage
Ville de Goussainville, Communauté d’Agglomération Roissy Pays de France, Europan France (PUCA)


  1. Les personnes qui vivent actuellement au Vieux Pays sont d'anciens habitants ancrés dans le territoire, qui, malgré les nombreuses tentatives de rachat d’ADP ont choisi de résister, des membres de la communauté des « gens du voyages », sédentarisées depuis plusieurs générations et de nouveaux habitants attirés par le cadre de vie qui ont pu s’installer légalement malgré le cadre règlementaire. 

  2. Pratique d’exploration urbaine, généralement dans des lieux abandonnés. 

  3. En 2015, Europan lance sa treizième édition sur le thème de la ville adaptable. 

  4. Topoï est un collectif constitué autour de Flore Grassiot et d’Antoine Miallon, tous deux architectes. Ils développent depuis 20 ans “des dispositifs de réciprocité par une approche partagée des territoires” en adoptant des approches sensibles et en renouvelant leurs outils à chaque expérience. Il est invité par le collectif Hyacinthe S’imagine pour travailler ensemble sur un diagnostic du village en incluant habitants, élus et techniciens.  

  5. Cinq itinéraires ont été réalisés : avec le président de l’association des motards, la représentante de la communauté des gens du voyage installée dans le village, l’ancien président de l’association de protection du Vieux Pays, un habitant historique du Vieux Pays très impliqué dans les associations et l’élu à l’urbanisme de Goussainville.  

  6. Cette démarche s’appuie sur les travaux de Jean-Yves Petiteau.
    Maïlys Toussaint, Jean-Yves Petiteau et l’expérience des itinéraires : itinéraires de dockers à Nantes, entre récits personnels et ambiance partagée, Sciences de l'Homme et Société, 2014. 

  7. Trois tables rondes sont organisées : “Que faire tout de suite ?”, “Préserver Transformer” et “Goussainville en 2050”. 

  8. Le Sens de la Ville est une coopérative de stratégie urbaine, programmation et ingénierie de projets. Elle a accompagné le collectif Hyacinthe s’Imagine pour identifier les programmations économiques possibles sur le Vieux Pays.  

  9. ESS : Economie Sociale et Solidaire. 

  10. La Manufacture Coopérative est une initiative regroupant des personnes issues du monde des coopératives et de la recherche afin d’accompagner les transformations des modes de collaboration dans le travail vers des modèles coopératifs. Elle est associée au collectif Hyacinthe s’Imagine pour réfléchir aux types de structure possibles pour porter des projets économiques sur le village. 

Pour citer cet article

Collectif Hyacinthe s'Imagine, « Fragments du Vieux Pays de Goussainville », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 19/05/2020, URL : https://www.revuesurmesure.fr/contributions/fragments-du-vieux-pays-de-goussainville