« Fragment indécidé du jardin planétaire, le Tiers paysage est constitué de l'ensemble des lieux délaissés par l'homme. Ces marges assemblent une diversité biologique qui n'est pas à ce jour répertoriée comme richesse. »1
L’herbier est un moyen d’archiver et de répertorier toutes les plantes d’un territoire donné. Cueillies, séchées puis collées sur des planches, elles sont conservées en couches ou strates successives. En m’inspirant de cette méthode, j’ai souhaité que mon travail mette en lumière les plantes de notre environnement, celles qui racontent l’histoire de la ville en l’infiltrant un peu plus chaque jour.
Mon projet a donc commencé par une récolte photographique –à l’aide d’un appareil photographique argentique – de plantes sauvages urbaines lors de balades en ville pendant le confinement : un lierre courant sur un poteau électrique (arbre moderne de l’urbain), de l’herbe folle ayant ouvert l’asphalte, de la mousse poussant sur un néon.
Cet échantillonnage photographique montre tout d’abord la puissance de la nature sauvage qui s’infiltre en ville mais se fait aussi témoin de la croissance végétale libérée qui s’est opérée pendant le confinement.
Je fais le choix de la photographie argentique pour ses nuances de blanc et de noir, de lumière et d’ombre, qui mettent en valeur les formes et implique un processus de réflexion préalable aux choix plus tranchés. Je choisis souvent un plan central vertical, parfois en contre-plongée, s’étirant vers le ciel comme une marque de puissance divine. Une photographie architecturale qui met en valeur les lignes droites que créent les buildings modernes. Après avoir développé puis scanné les pellicules, j’imprime les clichés à l'imprimante jet d'encre, technique moderne au rythme rapide associée à la temporalité urbaine vive.
La suite, le cyanotype (procédé photographique utilisant du ferrocyanure de potassium et produisant des épreuves de couleur bleue) : technique d’expression que j’affectionne et qui apporte à la fois picturalité et abstraction au sujet. Le processus de réalisation nécessite plusieurs étapes : préparation de la solution cyanotype suivie de deux jours de décantation, mouillage préalable des papiers, application de la solution insolation, rinçage et enfin séchage. J’ai associé impression jet d’encre et cyanotype car leur méthode de révélation sont diverses et renvoient à des temporalités différentes. La lenteur de la réalisation du cyanotype se veut le reflet de la croissance végétale, rythme posé mais puissant en opposition avec la rapidité de l’impression jet d’encre. De plus, le choix de cette technique photographique ancienne renvoie et amène à un résultat proche du travail d'échantillonnage et de botanique réalisé par Anna Atkins dont je me suis inspiré. Botaniste et photographe britannique, elle a réalisé au 19ème siècle un livre de cyanotypes, un herbier photographique.
Deux processus aux rythmes distincts se rencontrent au travers de ces deux méthodes photographiques : la lente croissance végétale qui s’immisce à travers les failles bétonneuses révélée par le cyanotype et la folle cadence urbaine symbolisée par l’impression jet d’encre.
Deux rythmes appelés pendant ces confinements à se retrouver, se rejoindre. Une ville ralentie par la force des choses dont la présence humaine diminuée a permis aux plantes sauvages de se développer. La nature a ainsi su s’adapter aux rythmes urbains en immisçant sa lente croissance végétale dans les vides de la ville.