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Habiter, des désirs au projet

Le choix de la dernière couronne francilienne : ressorts individuels et enjeux collectifs

Pourquoi choisir d'habiter la frange de la région parisienne ? Pour le prix, le confort ou le cadre de vie ? Une tendance qui interroge les parcours résidentiels mais aussi la dynamique démographique qu'elle engendre. Si ce phénomène pose la question du respect des équilibres au sein du grand territoire, ce sont aussi et surtout ses manifestations dans chaque localité qui sont en jeu.

La région parisienne, en tant qu’entité vécue, a depuis longtemps franchi les bornes administratives de l’Île-de-France. L’élargissement de l’aire urbaine1 de Paris observée entre 1999 et 2010 par l’INSEE en est l’une des illustrations. Les portions des départements de l'Oise, de l'Aisne, de l'Yonne, du Loiret de l'Eure ou du Cher qui lui sont limitrophes vivent maintenant au rythme des navettes quotidiennes d’une grande partie de ses habitants. Si l’on considère que ces derniers échappent de cette manière aux régulations censées organiser la planification de la région-métropole, en sont-ils pour autant des passagers clandestins ? Ou sont-ils à voir comme une force-vive indispensable au fonctionnement du territoire francilien, territoire dont les instruments réglementaires peinent encore à prendre la pleine mesure des impacts de ce changement d’échelle ?
Comment des choix de vie basés sur des contraintes financières, professionnelles ou familiales et des référents culturels remettent en question une organisation territoriale parfois rigide et engoncée dans des limites administratives et des réflexes normatifs ?
Nous tenterons ici de dresser un bref portrait des dynamiques à l’œuvre et des enjeux de gouvernance collective soulevés.

« Le nord du Loiret ou de l'Yonne mais pas Montargis ou Sens, l'est et le sud de l'Oise mais pas Beauvais, Creil, Senlis ou Chantilly »

Une recomposition des espaces de vie aux portes de la Région

Les déterminants des choix – ou non-choix – résidentiels des nouveaux habitants des franges franciliennes peuvent être grossièrement résumés : la proximité des opportunités professionnelles en Île-de-France, le cadre de vie jugé plus satisfaisant et surtout le prix d’accès au logement et notamment à la propriété individuelle. Ces raisons, couplées aux modes de vie et aux conditions d'urbanité dans le péri-urbain, ont été abondamment étudiées et commentées2.

Dans ces franges, le développement de l’accès à la propriété pour de nouveaux ménages – souvent jeunes – s’observe en parallèle d’une forte chute du nombre de résidences secondaires au profit des résidences principales. En effet, les ménages franciliens qui disposaient d’une maison de vacances dans ces territoires périphériques ont souvent fait le choix de s’y installer définitivement au moment de la retraite.
Aujourd'hui, la diffusion généralisée de l'automobile et l'amélioration des infrastructures routières et numériques permet de plus en plus aux ménages de vivre à la campagne tout en travaillant à la ville. L’arrière-pays francilien, autrefois lieu de ressourcement dissocié du tumulte de la métropole, a aujourd’hui intégré un espace de vie commun avec cette dernière où loisirs et travail se côtoient.

Cependant, tous les territoires ne se valent pas aux yeux des ménages dans le contexte du desserrement francilien, et les évolutions statistiques récentes des soldes entrées/sorties font apparaître que les nouveaux habitants de la grande couronne francilienne évitent soigneusement les villes moyennes à proximité de la région Île-de-France au profit de leurs périphéries : le nord du Loiret ou de l'Yonne mais pas Montargis ou Sens, l'est et le sud de l'Oise mais pas Beauvais, Creil, Senlis ou Chantilly. La problématique de la métropolisation de l'hinterland francilien rejoint ici celle de la crise des villes moyennes3. Ce sont en effet des territoires à faible densité qui reçoivent ces nouvelles populations, avec des conséquences notables sur leurs organisations territoriales.

Des équilibres locaux bouleversés

L’arrivée progressive de ces ménages, dont les préférences résidentielles sont souvent proches de celles de jeunes ménages locaux – pavillon avec jardin, en milieu rural mais facilement connecté aux équipements commerciaux et aux voies de circulation – modifie peu à peu le fonctionnement et les structures des villages qui les accueillent. Le fait que les nouveaux ménages soient souvent des familles avec enfants pose la question de la capacité et de la qualité des équipements scolaires, et à terme, de la formation, de l’accompagnement à l’emploi et de l’aide à la mobilité.

De nouvelles polarités locales se créent, à la légitimité non plus basée sur des statuts hérités (les anciens chefs lieux de cantons issus de la Révolution notamment), mais sur les nouvelles concentrations de populations qu’elles représentent à cause de leur proximité avec la région francilienne ou de la présence d’une gare. Cet accroissement de population sert d’argument à la revendication de nouveaux services publics (gendarmerie, poste), ou tout au moins au maintien de ceux en place4.
Parallèlement, les régions d’accueil peuvent se voir bouleversées dans leur organisation interne par une concentration de population à l'une de leurs franges. Ainsi en est-il des réseaux ferroviaires, où les lignes en direction de la capitale peuvent être privilégiées par les autorités locales au détriment des lignes régionales5.

Les équilibres locaux sont donc modifiés et rendus instables par les taux de rotation parfois importants constatés chez les ménages arrivants. Les nouveaux territoires d'accueil peuvent en effet souvent n’être qu’une simple étape dans les parcours résidentiels des jeunes ménages en quête de stabilité économique et professionnelle, et qui souhaiteraient le plus souvent réduire la distance domicile-travail. Pour ces familles, l’idée d’un retour en Île-de-France quand leurs capacités financières le leur permettront n’est donc jamais très loin. Ils peuvent ainsi préférer s’orienter vers du logement locatif, qui fait pourtant souvent défaut dans des localités marquées par la propriété individuelle. Cette apparence de volatilité, parfois conjuguée au sentiment d’un manque d’investissement dans la vie locale, peut être mal perçue par les populations en place, alors que le temps passé dans les transports au quotidien ne permet souvent pas cette intégration locale (même si le moment de la retraite peut par la suite permettre un plus grand investissement associatif, citoyen ou relationnel).

La densité, « briseuse de village » ?

Alors que les documents de planification (notamment le Schéma directeur de la région Île-de-France) régulent toujours plus les communes franciliennes au nom de la lutte contre l’étalement urbain, les opportunités foncières au-delà de l’Île-de-France créent les conditions d’une exportation des problèmes que la région francilienne tente de résoudre au sein de son propre périmètre administratif.

Les nouveaux habitants des franges franciliennes veulent échapper à la ville ou la banlieue pour s’offrir un cadre et une qualité de vie plus conformes à leurs attentes, notamment concernant l’espace disponible, ce qui pose nécessairement la question de la densité acceptable dans ces territoires, pour les anciens comme pour les nouveaux ménages.

En effet, avec l’obligation depuis la loi ALUR de procéder dans les nouveaux documents d’urbanisme à une étude des terrains potentiellement densifiables ou mutables, c’est le vivre-ensemble rural – dans l’interprétation qui en est faite sur place – qui semble remis en question.
Entre peur de la dévalorisation de leurs biens immobiliers et crainte d’un voisinage jugé trop envahissant, la population, avec ses édiles, monte au créneau pour préserver son cadre de vie. Les effets sociaux, urbains et économiques de l’incitation à la densification se font déjà ressentir dans certains territoires péri-urbains sous tension du sud de la France et préfigurent un avenir possible des territoires péri-urbains franciliens6.

L’élu se voit-il en « bon père de famille » qui veille aux besoins de ses administrés tout au long de leur vie, ou en « aubergiste » proposant le gîte et le couvert en échange d’un salaire généré ailleurs en faisant toujours attention à avoir des chambres de libre pour le futur arrivant ?

Regarder chez le voisin pour dépasser les postures

Devant cette somme de bouleversements plus ou moins subtils, les élus font face à de nombreux paradoxes et à des choix de posture. Doivent-ils proposer des conditions favorables à la mobilité pour garder le territoire dynamique, en variant les types de logements mais sans promesse d'implication à long terme ? Ou bien mobiliser des ressources et adapter les équipements existants dans l'optique d'offrir aux nouveaux ménages l'occasion de se sédentariser et d'intégrer l'économie locale à long terme ?
L’élu se voit-il en « bon père de famille » qui veille aux besoins de ses administrés tout au long de leur vie, ou en « aubergiste » proposant le gîte et le couvert en échange d’un salaire généré ailleurs en faisant toujours attention à avoir des chambres de libre pour le futur arrivant ?

La réponse à la plupart de ces enjeux en apparence paradoxaux réside souvent dans une meilleure compréhension des interrelations entre territoires voisins, notamment aux franges métropolitaines. Rejoindre le réseau de transport ou le secteur scolaire de la collectivité voisine, quand bien même elle ferait partie d'une autre région, sont des moyens de partager les ressources financières tout en s'adaptant réellement aux trajectoires de la population, sans pour autant renier son identité – par ailleurs souvent construite ou interprétée a posteriori pour justifier un découpage administratif imposé.

C’est donc bien la compréhension des forces et des acteurs en présence – ceux-ci n’étant pas nécessairement en compétition – qui permet d’encourager des interactions bénéfiques à tous. Le choix résidentiel ne peut plus être l’assise principale du projet de territoire, mais seulement l’une des nombreuses traductions spatiales de dynamiques interterritoriales complexes qu’il s’agit d’analyser et que les documents de planification ne doivent pas étouffer.


  1. « Une aire urbaine est un ensemble de communes, d'un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci. » (INSEE) 

  2. Voir notamment à ce sujet les travaux du CGET, de l’IAU-IDF ou le rapport de Frédéric Bonnet « Aménagement des territoires ruraux et périurbains » à la ministre de l’Egalité des territoires en 2016 

  3. Autre sujet abondamment commenté ces dernières années. Voir notamment les dossiers consacrés au sujet par La gazette des communes (2018), Localtis (2018) ou Métropolitiques (2013) 

  4. Dans le nord de l’Yonne, la gendarmerie établie de longue date dans le village de Sergines, ancien chef-lieu de canton, sera transférée à Villeneuve-la-Guyard, commune à la frontière de la Seine-et-Marne qui a connu une forte croissance démographique ces dernières années. 

  5. « Île-de-France, Centre-Val de Loire et Normandie : la saturation de Paris perturbe les trains des régions voisines) », Reporterre, 08/02/18
    http://reporterre.net/Ile-de-France-Centre-Val-de-Loire-et-Normandie-la-saturation-de-Paris-perturbe 

  6. Jérôme Dubois - Université Aix-Marseille « Quand la densité s’invite dans la France du quotidien. Une analyse des effets cumulés des évolutions réglementaires françaises et du marché foncier dans les communes périurbaines) » Riurba 2017/Numéro 4
    http://riurba.net/Revue/quand-la-densite-sinvite-dans-la-france-du-quotidien-une-analyse-des-effets-cumules-des-evolutions-reglementaires-francaises-et-du-marche-foncier-dans-les-communes-periurbaines/ 

Pour citer cet article

Cédric Gottfried, « Le choix de la dernière couronne francilienne : ressorts individuels et enjeux collectifs », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 13/03/2018, URL : https://www.revuesurmesure.fr/contributions/choix-derniere-couronne-francilienne