Alors que ma descente vers le sud continue, et que je traverse les plaines de la communauté autonome de Castille-et-León, j’arrive dans la ville de Salamanque, en plein après-midi, sous un soleil de plomb. Ma seule envie à ce moment-là : me reposer à l’ombre, dans la fraîcheur d’un parc public.
Salamanque, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, est une ville remarquable dans l’histoire ibérique : construite pour durer des siècles, ses bâtiments au ton doré façonnent un paysage urbain unique mais peu compatibles avec les fortes chaleurs qu’enregistre l’Espagne au cœur de l’été. Alors, comment peut-on encore vivre ici, sous un soleil qui peut atteindre 40°C ? Et surtout, comment la ville s’adapte-t-elle à ce climat extrême qui ne va pas s’améliorer ?
Le poids du patrimoine
Salamanque est une ville de pierre, la pierre de Villamayor, extraite dans la région. C’est une pierre qui possède une certaine inertie thermique : je ressens comme elle emmagasine la chaleur du jour, puis la restitue lentement la nuit, maintenant une atmosphère chaude dans les rues même après le coucher du soleil. Le cœur historique de Salamanque, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, se compose de rues étroites et d’un tissu urbain dense. Ces ruelles étroites de la vieille ville offrent un ombrage agréable, mais elles limitent aussi la ventilation naturelle : l’air circule mal, et la fraîcheur nocturne peine à se diffuser. À cette morphologie, s’ajoute une prédominance de surfaces imperméables dans l’espace public – pavés, dallages, bitume – qui empêchent l’eau de s’infiltrer dans le sol et privent la ville des bienfaits de l’évapotranspiration. Ce processus, par lequel les plantes restituent de la fraîcheur en rejetant de l’humidité dans l’air, pourrait être l’un des meilleurs alliés contre les fameux îlots de chaleur urbains.

Le fait que le centre historique soit protégé ajoute des contraintes fortes à ce besoin de verdissement : chaque transformation, même minime, est soumise à des réglementations strictes. Débétonner une place, ouvrir de nouvelles zones de pleine terre ou planter de grands arbres est alors un défi administratif autant que technique. Dans ces conditions, faire entrer la nature au cœur du bâti ancien demande de penser de nouveaux processus.
Les oasis verts
Afin de dépasser ces contraintes, Salamanque s’est dotée de plusieurs espaces verts qui apportent une respiration au milieu de la pierre. Le Parque de los Jesuitas, vaste et arboré, offre ainsi de larges zones de pleine terre et des pelouses ombragées. Le Parque de la Alamedilla, plus au centre, combine des arbres, des bassins et des fontaines, qui créent un microclimat agréable. Plus petit, le Jardin de Calixto y Melibea, perché sur les remparts, mêle verdure et vue panoramique. Les berges de la rivière Tormes, elles, constituent un corridor naturel, où la végétation profite de l’humidité pour s’épanouir.
Dans ces espaces, la perméabilité des sols permet à l’eau de pluie de s’infiltrer et nourrit la végétation, favorisant ainsi l’évapotranspiration et la création d’îlots de fraîcheur. Mais dans bien des rues, les arbres sont plantés dans de simples poches d’enrobé : un carré de terre cerné de bitume, trop petit pour permettre un développement optimal des racines. On voit alors la différence entre conserver la nature existante — comme un arbre centenaire aux racines profondes, véritable climatiseur naturel — et introduire une nature nouvelle, plus fragile, qui mettra de très longues années à produire les mêmes effets.


La qualité et le type de végétation sont ici essentiels : grands arbres à feuillage dense pour l’ombre, espèces adaptées au climat sec pour limiter l’arrosage, et diversité des essences afin de maintenir la biodiversité urbaine. Dans un contexte patrimonial contraint, chaque espace vert devient une petite pièce stratégique dans la lutte contre la chaleur qui monte.
S’adapter à la chaleur
Salamanque semble souffrir parfois d’une certaine inertie patrimoniale, bien qu’elle possède grâce à son riche passé tout un héritage de solutions. L’architecture traditionnelle, par exemple, a su développer des formes de fraîcheur passive : cours intérieures ombragées qui fonctionnent comme des puits de ventilation, loggias et galeries qui protègent du soleil direct, ou encore pergolas et toiles tendues au-dessus des places l’été. Ces dispositifs simples, qui ne consomment pas d’énergie, rappellent que l’ingéniosité vernaculaire peut encore inspirer la ville d’aujourd’hui.
L’adaptation ne se lit pas seulement dans les murs, mais aussi dans les modes de vie. Comme dans beaucoup de villes espagnoles, le rythme quotidien est calé sur la chaleur : journées morcelées, horaires décalés, rues vides aux heures brûlantes et réinvesties à la tombée de la nuit. La vie sociale se déplace alors sur les places, les terrasses et les parcs, où la fraîcheur relative permet aux habitants de se retrouver. Les fontaines deviennent aussi des lieux de respiration, appréciées des enfants mais dont les adultes aimeraient bien aussi profiter davantage !
Ces adaptations ne suffisent pourtant pas face à la fréquence croissante des épisodes de chaleur extrême. Le défi est désormais de conjuguer conservation du patrimoine et adaptation climatique. Cela suppose de réactiver les ressources traditionnelles (logements traversants, matériaux locaux à faible impact énergétique) tout en repensant des pratiques contemporaines : limiter l’usage de la climatisation, par exemple, qui reste parfois utilisée de façon peu rationnelle — vitrines des magasins ouvertes sur la rue laissant ainsi s’échapper le flux d’air froid.

L’avenir passe aussi par une nature mieux intégrée, à travers le choix d’espèces locales plus adaptées à la sécheresse ainsi que des réflexions sur l’arrosage et la récupération des eaux de pluie. De même, chaque poche de pleine terre, chaque plantation pensée dans la durée doit permettre de renforcer l’évapotranspiration et améliorer le confort urbain.
J’ai en tout cas bien pu profiter de la petite sensation de fraîcheur que pouvaient m’offrir les espaces verts de Salamanque, en espérant continuer d’en trouver sur la suite de mon trajet. Sans quoi, il me faudra sans doute décider d’éviter les villes qui concentrent trop de chaleur…