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Une architecture de la réparation

premier pas de la transition foncière

Cet entretien permet de revenir sur le deuxième forum de la transition foncière, accueilli au Pavillon de l’Arsenal en décembre 2023, et d’évoquer, à l’occasion de l’exposition « La grande réparation », un nouveau paradigme pour la jeune génération d’architectes. Cet éclairage s’inscrit dans un cycle interdisciplinaire de publications, « Saisir l’empreinte de la ville », conçu en partenariat avec l’Institut de la transition foncière, autour des enjeux de connaissance, de représentation et de gouvernance des sols.

Marion Waller, Directrice du Pavillon de l’Arsenal, nous a accordé cet entretien dans le cadre de notre cycle de publications « Saisir l’empreinte de la ville » : l’occasion de revenir avec elle sur le deuxième forum de la transition foncière, organisé au Pavillon de l’Arsenal, à Paris, le 12 décembre 2023. Avec trois autres entretiens, ils illustrent le dialogue pluridisciplinaire noué lors du forum autour des enjeux de connaissance, de représentation et de gouvernance des sols. L’occasion de revenir aussi plus amplement sur leurs travaux et d'identifier quelques réflexions prospectives.

La question foncière appelle une approche pluridisciplinaire. En tant que Directrice du Pavillon de l’Arsenal, avec quel parcours et quel regard appréhendez-vous cette question ?

J’ai l’impression d’approcher le sujet sous deux angles. Ma première approche est étroitement liée à mes missions précédentes, à la Ville de Paris : une ville dense et peu étendue où le foncier est le nerf de la guerre. La question de l’utilisation et de la répartition des sols est omniprésente. Elle était également récurrente tout au long des appels à projets « Réinventer Paris »1, que j’ai particulièrement accompagnés. Ma seconde approche de la question foncière est - quant à elle - liée à ma formation initiale en philosophie. Durant cette période, je me suis énormément intéressée aux questions de restauration écologique, notamment à celles des sols en dehors des villes et aux enjeux de conservation du « sauvage ».

Les enjeux de transition foncière mobilisent aujourd’hui l’ensemble des acteurs de la fabrique urbaine. À travers les travaux que vous présentez au sein du Pavillon, comment et à travers quelles lignes de force voyez-vous les acteurs se saisir de ce sujet ? Comment participez-vous à sa diffusion ?

Au Pavillon, nous portons une volonté forte de diffusion des sujets de transition foncière. L’introduction du sujet de la Zéro Artificialisation Nette (ZAN) a permis de prendre de la hauteur : d’une part en retissant un dialogue entre le local et le national, d’autre part en renouant les échelles entre architecture et vision globale. Cela a rendu possible un retour à des sujets essentiels : quoi urbaniser ? quoi préserver ? Le sol semble être un angle particulièrement pertinent pour parler d’urbanisme avec le grand public. C’est un sujet concret dans l’expérience du vivant. En évoquant cela, je pense au film « Solutions locales pour un désordre global » de Coline Serreau, qui traduit extrêmement bien ce sujet, et le rend très compréhensible, très tangible.

Ce qui nous semble important maintenant, c’est d’aborder le sujet de l’économie et plus précisément du nouveau modèle économique à trouver pour le foncier. Il s’agit aussi de trouver la manière d’en parler, de parvenir à la représenter.

Que l’on parle d’architecture ou d’urbanisme, on perçoit très rapidement que le sol est la priorité, que c’est d’ici que tout démarre. Cette notion de sol, comme sujet central, s’est vraiment dégagée de nos dernières expositions au Pavillon, que ce soit « Paris Animal », « Énergies Légères », « Natures Urbaines », malgré la multiplicité et la diversité des sujet, les conclusions mènent toujours aux sols.

Ce qui nous semble important maintenant, c’est d’aborder le sujet de l’économie et plus précisément du nouveau modèle économique à trouver pour le foncier. Il s’agit aussi de trouver la manière d’en parler, de parvenir à la représenter. Dans ce travail, nous pensons que le Pavillon à un véritable rôle à jouer en tant qu’institution culturelle.

Vous accueillez en ce moment une exposition intitulée « La Grande Réparation » : en quoi les enjeux qu’elle présente peuvent participer à une mobilisation plus durable du foncier dans le projet urbain et architectural ?

Cette exposition a été pensée à Berlin et interroge nos modèles urbains. Aujourd’hui, les grands modèles qui se déclinent au niveau européen s’inscrivent dans des tendances telles que l’étalement urbain, la systématisation de la démolition, etc. Si on étend le diagnostic au niveau mondial, que l’on regarde par exemple ce qui s’est montré au MIPIM, ce sont les modèles d’innovation, parfois proches de la science-fiction comme le projet The Line en Arabie Saoudite, qui sont encore très dominants.

Cette exposition donne à voir concrètement le nouveau paradigme du modèle de la réparation.

L’exposition « La Grande Réparation2 » montre notamment comment dans ces contextes, de façon croissante, tous les usages entrent en conflit, et comment la résolution du problème passe par une observation minutieuse de l’usage du sol.

Le Pavillon défend ce modèle de la réparation, qui n’est pas encore le plus en vogue et qui oblige à faire un pas de côté, à changer de paradigme. Un modèle qui consiste à accepter que des choses ont été abîmées, à reconnaître ce qui a été endommagé, à respecter l’existant, le déjà-là et les personnes qui en prennent soin… et sur ces bases, ouvrir la créativité !

L’exposition comporte des contributions du monde entier : à New York, on nous emmène à la rencontre des personnes qui nettoient la ville, qui l’entretiennent. À Bordeaux, on nous présente le projet de requalification de la place Léon Aucoc par l’agence Lacaton et Vassal, qui choisit de respecter l'existant plutôt que d'apporter des changements non nécessaires… Cette exposition donne à voir concrètement le nouveau paradigme du modèle de la réparation.

Ce nouveau modèle du respect de l’existant se décline aussi bien par le bâti que par les sols. En ville comme à la campagne, les sols ont été énormément abîmés, c’est pourquoi les enjeux autour de la renaturation et de la « débitumisation » sont extrêmement forts, pour permettre de retrouver des sols vivants. Ce sont ces grands équilibres qui doivent être atteints, comme le montrait l’exposition « Capital Agricole » créée il y a quelques années au Pavillon.

Comment rendre la fabrique urbaine, l’acte urbain, plus éthique ? Cette question préoccupe de nombreux jeunes professionnels de l’architecture et de l’urbanisme.

Dans le cadre de votre essai Artefacts naturels. Nature, réparation, responsabilité publié en 2016 et consacré aux enjeux de la restauration écologique, comment avez-vous choisi d'aborder la question de la valeur du sol dans son rapport au vivant ?

Le sujet qui me tient à cœur dans ce livre, le véritable fil rouge, c’est l’éthique. Comment rendre la fabrique urbaine, l’acte urbain, plus éthique ? Cette question préoccupe de nombreux jeunes professionnels de l’architecture et de l’urbanisme. Et les questions éthiques à évaluer sont nombreuses : est-ce éthique de revenir en arrière ? Est-ce éthique de compenser ? Est-ce éthique de transformer un écosystème si le besoin en logement est énorme ? Il est désormais nécessaire de comprendre avec qui on négocie ces sujets, ce qui est en jeu dans la notion de compensation, et d’identifier à qui ou à quoi on cause du dommage en intervenant… autant de sujets nouveaux qu’il s’agit de donner à voir.

Ce sont des questions d’ordres culturel et historique, qui comportent de fortes dimensions politiques et écologiques. Un autre sujet d’éthique qui m’intéresse, et qui est très présent dans le monde (même si ce n’est pas le principal en France), est celui de la propriété des sols : qui peut finalement jouir du sol ? Ce sol qui a parfois été confisqué à des populations : les sols volés, les sols pollués, les sols appropriés.

Dans un contexte comme celui de Paris, marqué par une très forte densité et un foncier sur-mobilisé, quelles sont les marges de manœuvre et à quels endroits se situent l’urgence à agir pour les acteurs publics ?

À Paris, il y a une actualité de taille autour de ces sujets : le nouveau PLU bioclimatique, qui permet un changement de sémantique et de logique. Là où le PLU permet habituellement de définir la localisation de ce que l’on crée, ce que l’on construit, le PLU bioclimatique aborde les enjeux en de nouveaux termes, plus contemporains.

Le bioclimatisme reconnaît une nouvelle approche, avec une considération à part entière des sols et de l’environnement. Dans le contexte parisien, il y a un équilibre très fin à trouver pour concilier nature en ville et besoin de logement : un équilibre qui se trouve dans la transformation de l’existant, dans l’intelligence déployée dans l’utilisation des ressources notamment foncières, dont certaines sont cachées ou peu utilisées. Il s’agit également d’en redécouvrir comme la Municipalité l’a fait avec les cours d’écoles, et désormais les cours d’immeubles. La ville est tellement contrainte que chaque mètre carré doit être observé pour en trouver le meilleur usage possible, il faut réfléchir méthodiquement à chaque typologie d’espace, car c’est ici que se situent les marges de manœuvre.

À Paris nous sommes dans un contexte de « laboratoire », la ville par sa spécificité, oblige à contrôler le marché de près et permet de créer de nouveaux modèles, de les expérimenter et d’essaimer des solutions.

Quel est selon vous le défi majeur dont devrait se saisir une filière autour des sols ?

Pour moi, le prochain forum de la transition foncière devrait porter sur le modèle économique qu’implique la prise en compte des sols, c’est un sujet majeur. Il faut définir l’ensemble des termes autour de ce sujet : expliciter le système de valeur, celui des acteurs, définir les bases pour comprendre la valeur des sols.

À Paris nous sommes dans un contexte de « laboratoire », la ville par sa spécificité, oblige à contrôler le marché de près et permet de créer de nouveaux modèles, de les expérimenter et d’essaimer des solutions. Mais il est également nécessaire de s’intéresser aux systèmes de valeurs qui se mettent en place dans des contextes plus détendus, c’est aussi là-bas que les choses se jouent. C’est un domaine dans lequel tout reste encore à faire !

En ce moment, quel est votre terrain quotidien, votre sujet d’actualité en lien avec les enjeux de foncier, de sol, de transition… ?

Le Pavillon change de « sol » début 2025, nous démarrons une période hors-les-murs à partir de cette date. Nous instaurons une sorte de jachère institutionnelle. Ce changement de lieu s’annonce très intéressant et va permettre de se décentrer, de continuer à réfléchir autrement !


  1. Réinventer Paris est un appel à projets urbains innovants lancé en novembre 2014 auprès des promoteurs, investisseurs, concepteurs du monde entier, sur 23 sites parisiens. 

  2. À découvrir jusqu’au 5 mai 2024, conçue par ARCH+ en partenariat avec l’Akademie der Künste de Berlin, Département d’architecture de l’ETH Zürich et Master in Architecture de l’Université du Luxembourg. 

Pour citer cet article

Marion Waller, « Une architecture de la réparation », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 23/04/2024, URL : https://www.revuesurmesure.fr/contributions/une-architecture-de-la-reparation