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Entretien

La transition foncière, de la radicalité au consensus

une vision politique

À rebours de certains postures dogmatiques, cet entretien offre la vision d'un élu local déterminé, optimiste et en prise avec les enjeux concrets de l'aménagement de son territoire du Forez. L'occasion également de revenir sur le deuxième forum de la transition foncière, accueilli au Pavillon de l’Arsenal en décembre 2023. Un témoignage qui s’inscrit dans un cycle interdisciplinaire de publications, « Saisir l’empreinte de la ville », conçu en partenariat avec l’Institut de la transition foncière autour des enjeux de connaissance, de représentation et de gouvernance des sols.

Christophe Bazile, Maire de Montbrison et Président de Loire Forez Agglomération nous a accordé cet entretien dans le cadre de notre cycle de publications « Saisir l’empreinte de la ville » : l’occasion de revenir avec lui sur le deuxième forum de la transition foncière, organisé au Pavillon de l’Arsenal, à Paris, le 12 décembre 2023. Avec trois autres entretiens, ils illustrent le dialogue pluridisciplinaire noué lors du forum autour des enjeux de connaissance, de représentation et de gouvernance des sols. L’occasion de revenir aussi plus amplement sur leurs travaux et d'identifier quelques réflexions prospectives.

Les problématiques liées à la question foncière appellent une approche pluridisciplinaire. Avec quel parcours et quel regard les appréhendez-vous ?

Il se trouve que j’ai deux parcours. Celui d’élu tout d’abord, qui m’a conduit à être aujourd’hui Maire de la ville de Montbrison et Président de Loire Forez Agglomération, une intercommunalité regroupant 87 communes. Bien que Montbrison soit la « ville-centre » de cette agglomération, la présidence doit nécessairement s’appuyer sur un pouvoir de consensus puisque la ville ne représente que 16 000 habitants sur les 110 000 que compte le territoire. J’évoque souvent cette politique de consensus, qui résulte d’un travail au long cours, dans la conduite même de la présidence de l’agglomération. Dans ce rôle d’élu, un des principaux enjeux selon moi, est la capacité à partager et mettre en application la connaissance que nous avons des systèmes complexes, comme par exemple celui des sujets fonciers.

Je cherche toujours à me confronter à un certain gradient de radicalité.

Je suis également vétérinaire de formation : j’ai ainsi toujours accordé une place importante au vivant et à la nature, des sujets qui m’intéressent et nourrissent mes réflexions dans mes activités d’élu. C’est une entrée qui a notamment facilité les discussions autour des questions écologiques, pour lesquelles je cherche toujours à me confronter à un certain gradient de radicalité. Par cette notion de gradient de radicalité, j’entends qu’il faut absolument que nous – élus locaux – nous entourions de personnes qui portent une certaine radicalité de discours. Cela me semble nécessaire pour énoncer des choses qui sont pour l’heure encore inaudibles, et nous permettre d’identifier ce que nous devrons peut-être mettre en application en matière d’action publique à l’horizon d’une vingtaine d’années. Par exemple, nous avons organisé à Loire Forez Agglomération une conférence avec Arthur Keller !

La question foncière fait partie de ces sujets. C’est une question profondément pluridisciplinaire qui se traduit par la mobilisation d’une grande variété de politiques publiques, de la reconquête du logement vacant à la maîtrise du développement économique, en passant par tout un ensemble d’investissements en matière d’environnement. La ville de Montbrison a par exemple investi de l’argent public dans la reconquête du logement vacant ; dans une ville de cette échelle, si « petite », c’est très novateur de mobiliser le budget municipal pour répondre à cet enjeu qui relevait surtout jusqu’à présent de l’initiative privée. Pourtant, compte tenu des enjeux que nous avons identifiés, l’incapacité du modèle en place à y répondre, et une véritable volonté collective d’agir, nous avons décidé d'investir le sujet.

Selon vous, qu’est-ce qui a marqué dans le temps le cheminement entre un foncier appréhendé comme une manne de développement, et un foncier disposant aussi d’une valeur environnementale ? Comment cela se traduit concrètement dans votre expérience d’élu ?

Avant de vous répondre, il me semble nécessaire de définir et d’affirmer les objectifs que l’on porte : en tant qu’élu, il faut être clair sur cela. Dans notre agglomération, je porte deux priorités qui doivent nous guider sur l’ensemble des sujets : la préservation de l’environnement et la création d’emploi.

La préservation de l'environnement est un enjeu qui est de plus en plus prégnant et qui répond également à des attentes citoyennes de préservation du cadre de vie, d’une certaine proximité avec la nature, etc. Or, si la préservation de ce cadre est notre priorité à tous, notre modèle de développement actuel n’est pas le bon, notamment parce que l’écosystème terre est trop fragile. Pour le moment, nous ne pouvons pas promettre à la population une véritable renaturation, mais nous défendons la préservation de la qualité de notre environnement. Si je comprends que cela puisse sembler peu ambitieux, je ne vous cache pas que cela nous oblige déjà à profondément changer de modèle… et ça fonctionne ! Nous sommes en pleine élaboration de nos documents de planification et nous parvenons à y intégrer ces enjeux, à faire passer de premiers messages.

L’enjeu est ensuite de réussir à montrer à l’ensemble des acteurs comment des objectifs tels que le ZAN sont atteignables, dans un temps court et avec des moyens dont disposent les collectivités.

Avec le dispositif Zéro artificialisation nette, le ZAN, j’ai le sentiment que la prise de conscience s’est enfin concrétisée en France ! C’est un objectif que je porte, pour autant, je suis le premier à discuter avec les représentants de l’Etat afin de souligner toutes les difficultés à l’appliquer, dans les documents d’urbanisme notamment. Notre agglomération se positionne aujourd’hui en tête-de-file dans cet effort nécessaire de changement d’utilisation du foncier et de diminution de l’artificialisation. L’enjeu est ensuite de réussir à montrer à l’ensemble des acteurs comment des objectifs tels que le ZAN sont atteignables, dans un temps court et avec des moyens dont disposent les collectivités. Malheureusement, sur ce volet, nous n’avons pas encore toutes les réponses !

De nouveaux moyens sont pourtant mis en place par l’Etat, les collectivités et les structures parapubliques, en termes d’ingénierie, d’outils, de financements… Percevez-vous ces évolutions ? Sont-elles adaptées aux besoins des territoires ?

Les évolutions existent, c’est vrai, mais elles ne sont pas à la hauteur des objectifs fixés. Toutes les politiques publiques devraient aujourd’hui être orientées dans cette direction. Pourtant, pour parvenir à faire avancer nos projets et à les financer, nous devons croiser de trop nombreux dispositifs : le fonds vert, le fonds friche, les appels à projets… Il y a également la question de la fiscalité qui n’évolue pas du tout, alors que c’est un levier majeur.

J’ai le sentiment que nous continuons malheureusement à travailler en silo, à saupoudrer les aides, sans hiérarchisation, sans transversalité et que les politiques publiques de financement ne s'alignent pas sur les objectifs fixés par la loi. La politique nationale des aides ne coordonne pas les moyens financiers alors que c’est éminemment nécessaire.

Vous avez évoqué votre propre « transition » vis-à-vis du sujet foncier, mais c’est un discours qui semble encore minoritaire parmi les élus locaux. Quelles sont les plus grandes réticences que vous observez autour de vous ? Et quels peuvent être les mots d’ordre mobilisateurs à destination de vos collègues élus ?

Pour mobiliser les élus comme les citoyens, j’estime qu’il faut tout d’abord être pédagogue ! Je vais donner un exemple : l’agglomération a engagé une politique de réduction de la consommation des fluides des équipements publics intercommunaux, avec un objectif de baisse de 30%. Par la simple pédagogie, c'est-à-dire des rappels réguliers auprès des utilisateurs, et avec la mise en place d’un système de contrôle, nous avons atteint une baisse de 50 % de la consommation en seulement un an. La Municipalité de Montbrison démarre à présent le même exercice sur le sujet de la consommation d’eau : avec des méthodes similaires, nous espérons des résultats concluants.

Un travail similaire de sensibilisation est désormais réalisé auprès des entreprises : lorsque j’ai rencontré le Club des Entreprises du territoire, j’ai pu porter un discours clair autour de l’énergie et des efforts de sobriété. Ces acteurs doivent à leur tour anticiper cette question, pour ne pas se laisser surprendre par l’augmentation des coûts aujourd’hui, ou par les effets du changement climatique demain. C’est aussi une façon de poursuivre notre objectif de pérennisation et de création d’emplois.

Les objectifs de transition doivent pouvoir être accompagnés d’un calendrier, de solutions alternatives, de plans d’actions partagés, de manière à rassurer les acteurs.

Dans le prolongement des sujets abordés lors du forum de la transition foncière en décembre 2023, quel serait le défi majeur dont devrait se saisir une filière autour des sols ?

Il y a, à mon sens, un véritable paradoxe économique à résoudre. Si le modèle de valorisation du foncier dans l’aménagement évolue trop rapidement et de manière arbitraire, sans déploiement de solutions ou de politiques publiques d’accompagnement, le risque est de heurter le monde économique. Les objectifs de transition doivent pouvoir être accompagnés d’un calendrier, de solutions alternatives, de plans d’actions partagés, de manière à rassurer les acteurs. Les élus doivent être en mesure d’assurer un portage politique fort. Quand je m’adresse au monde économique, je peux ainsi rappeler quelques réalités simples : les entreprises ne peuvent plus continuer à exploiter leurs locaux, leur foncier, comme elles l’ont toujours fait, et penser pouvoir s’en sortir économiquement. Nous pourrons alors poursuivre la sensibilisation.

Il y a un défi concernant l’acceptabilité de ces sujets, qui ne pourra s’améliorer qu’à condition que les élus fassent le travail d’aller vers l’ensemble des publics concernés.

Nous avons par exemple besoin de travailler la valorisation financière du foncier non bâti. La différence de valeur entre une parcelle de forêt et une autre de terrain à bâtir n’est pas entendable : c’est un des paramètres à faire évoluer, nous devons valoriser ce qui contribue à la qualité de l’environnement et du cadre de vie. Comment pouvons-nous continuer à valoriser davantage le bâti que le non bâti à l’heure où tout le monde recherche le calme et la tranquillité ? Il y a un système de valeurs à revoir.

Il y a enfin un défi concernant l’acceptabilité de ces sujets, qui ne pourra s’améliorer qu’à condition que les élus fassent le travail d’aller vers l’ensemble des publics concernés. La télévision et les réseaux sociaux ne peuvent pas constituer les seuls canaux d’information et de débat. Au-delà des associations et du militantisme, les politiques publiques ont besoin d’être portées par des femmes et des hommes élus et engagés. Durant les trois premières années de ce mandat, j’ai participé à soixante conseils municipaux par an. Pour les trois années suivantes, j’ai prévu d’organiser 60 réunions publiques par an, durant lesquelles j’emmène les collègues élus avec qui j’ai eu l’occasion de travailler durant les trois premières années.

Question d’actualité pour finir cet entretien : quel est votre sujet d’actualité en lien avec les enjeux de foncier, de sol, de transition, etc. ?

Nous conduisons un travail au long cours actuellement afin d’arriver au bout de l’élaboration du Schéma de cohérence territoriale et de celle du Plan local d’urbanisme de l’agglomération, puis de parvenir à les faire voter. Pour y arriver, j’ai à la fois besoin de travailler localement à un consensus mais aussi de parvenir à faire évoluer la loi pour que les territoires puissent agir dans le calendrier qui leur est fixé, en particulier avec l’échéance de réduire l’artificialisation des sols de 50% d’ici 2031 établie par la loi Climat et résilience.

Afin d’atteindre cet objectif, nous nous devons d’accélérer les procédures liées au renouvellement urbain, qui peuvent prendre 8 à 10 ans entre les études préalables et la réalisation. En particulier, les délais de maîtrise foncière et leurs outils (déclaration d’utilité publique), ainsi que le financement des déficits liés à ces opérations apparaissent comme insuffisants face à l’urgence d’agir et donc sur notre capacité collective à changer notre mode de développement urbain.

Refaire la ville sur la ville doit devenir la règle pour tous : décideurs publics, acteurs de l’immobilier et in fine habitants. Le Préfet l’a bien compris et j’espère que nos retours de terrain remonteront au niveau national car nous sommes loin d’être les seuls concernés.

Pour citer cet article

Christophe Bazile, « La transition foncière, de la radicalité au consensus », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 07/05/2024, URL : https://www.revuesurmesure.fr/contributions/la-transition-fonciere-de-la-radicalite-au-consensus