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Sur ma route, entre soleil et tourisme en Algarve

De Bordeaux à Dakar à vélo, cette série explore les territoires pour comprendre comment ils s’adaptent à certains défis contemporains : changement climatique, développement urbain, préservation du patrimoine, gestion du tourisme... Une série d’articles comme des instantanés de terrain, simples, où le regard de l’urbaniste professionnel croise celui du passionné de voyage. Troisième étape dans la roue de Paul, le long du littoral portugais de l’Algarve, inséré, asphyxié, dans le tourisme international.

En m’approchant de la côte sud du Portugal, la route se charge de camping-cars et de voitures venues de toute l’Europe : nous sommes en pleine saison et les vacanciers descendent en masse vers l’Algarve, profiter des plages et du soleil de cette région hautement touristique. Mon chemin me conduit à Lagos. À l’approche de cette ville, je suis frappé par les grues qui s’élèvent dans le ciel et les barres d’immeubles qui poussent. Un paysage qui se prolonge tout au long de la côte : Albufeira, Portimão, et même jusqu’à Faro, la capitale régionale. Ces constructions sont avant tout la promesse de lits supplémentaires pour accueillir une masse grandissante de visiteurs : si, à travers ce mouvement, on constate que ces territoires dépendent grandement du tourisme, tout semble montrer qu’ils étouffent sous son poids.

Le tourisme, un moteur vital

Une fois dans Lagos — et plus largement l’Algarve — il est évident à quel point toute l’activité est orientée vers le tourisme. Celle de la vieille ville d’abord, avec ses remparts, ses ruelles pavées et ses multiples magasins de souvenirs ou de céramiques colorées, parfois authentiques, parfois réduites à de simples babioles décoratives. Celle aussi de la marina, avec sa belle promenade, où s’alignent bars et restaurants, bateaux et kiosques proposant leurs lots d’excursions. Celle des plages bien évidemment, parfois très vastes, parfois plus intimes, comme la Praia do Camilo, accessible par un petit tunnel dans la roche, star emblématique d’Instagram.

Tout paraît organisé pour répondre à cette demande touristique grandissante qui s’exprime dans les rues de la ville, lorsque j’entends parler français, anglais, allemand, néerlandais… Lagos, qui compte environ 30 000 habitants permanents, se transforme l’été en un véritable carrefour européen. L’économie locale repose sur cette manne : restaurants, taxis, hôtels, loueurs, guides, tous dépendent de cette affluence. Contrairement à d’anciennes villes industrielles ou agricoles, Lagos n’a pas connu de diversification majeure : ici, on vit du soleil, des plages, du patrimoine, et de la capacité à transformer ces richesses naturelles et culturelles en expériences pour les visiteurs internationaux.

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Le centre ville

Chaque ville de la côte semble même s’être spécialisée. Albufeira s’est construit une réputation de capitale de la fête anglo-saxonne, avec ses pubs et ses nuits blanches. Tavira cultive une image plus douce, séduisant familles et voyageurs en quête d’authenticité. Portimão mise sur la plaisance et les sports nautiques. Vilamoura attire une clientèle plus aisée, notamment l’hiver, grâce à ses nombreux golfs. Lagos, elle, essaie de combiner cachet patrimonial, offre balnéaire et vie nocturne festive. C’est ce mélange qui en fait l’une des plus attractives parmi ce chapelet de destinations.

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La marina de Lagos

Cependant, derrière cette évidente vitrine touristique, le vécu local est plus complexe : ces activités sont à la fois une chance pour le territoire, qu’elles font survivre économiquement, mais en même temps un poids qui l’étouffent et le dénaturent. C’est le paradoxe de cette trajectoire touristique qui ressort à Lagos comme dans tout le territoire d’Algarve de manière générale.

Le territoire déformé par le tourisme

Le camping où je me suis arrêté — le Parque de Campismo da Trindade — témoigne d’une histoire qui s’accélère : sans doute installé depuis des décennies, ce camping semble avoir vu défiler plusieurs époques du tourisme local. Celle des emplacements à l’ombre des pins, aux sanitaires un peu vieillissants, avec une sorte de simplicité des installations : certainement là un témoignage de voyages plus anciens, plus modestes. Mais tout aux abords du campings, des barres d’immeubles de différentes époques se sont élevées, donnant l’impression qu’il est resté coincé dans le temps qui le dépasse. Et c’est un contraste qui se répète un peu partout à Lagos ou sur la côte d’Algarve. Se mêlent dans le paysage la ville historique, les barres et les villas, le tout de styles et d’époques bien distincts.

Dans les ruelles, les petites boîtes à clés pour les locations Airbnb, accrochées aux murs, disent bien la nouvelle réalité : chaque logement cache une chambre d’hôtel déguisée. Ce sont autant d’habitants en moins dans le centre, et un marché locatif qui se tend : les prix grimpent, poussant les familles locales vers la périphérie, comme on peut le voir dans d’autres villes touristiques européennes.

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Constructions en cours autour de Lagos

À cela s’ajoutent d’autres pressions. D’abord celles sur l’environnement immédiat : les paysages, la faune et la flore, qui se doivent d’absorber l’impact d’une fréquentation trop intense. Ensuite, celles sur les ressources, à commencer par l’eau. Dans une région où la sécheresse est devenue quasi structurelle, les réserves sont fragiles et les projets de dessalement ou de réutilisation des eaux usées ne suffisent pas. Les établissements touristiques essaient, pour certains, de limiter leur consommation. Mais l’équilibre reste extrêmement précaire.

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Constructions en cours autour de Lagos

La problématique est similaire concernant la gestion des déchets. Le tourisme en produit des quantités énormes, et leur traitement coûte cher. Le réseau local se trouve coincé dans une sorte de paradoxe insatisfaisant : sous-dimensionné en été, quand l’affluence explose, et surdimensionné le reste de l’année, quand la population retombe.

Enfin, l’économie locale elle-même est déformée par cette manne touristique. Les petits commerces peinent à tenir face aux tours opérateurs et aux grands groupes de tourisme, qui captent une majeure partie du marché. Dans les rues, cela se traduit par une uniformisation : mêmes enseignes, mêmes restaurants, mêmes hôtels. Une standardisation qui gomme peu à peu les spécificités locales, au risque de transformer l’Algarve en un produit touristique de plus, interchangeable avec d’autres rivages européens.

Quel tourisme en Algarve ?

Partout en Europe, des villes cherchent à inventer d’autres manières d’accueillir. À Barcelone, par exemple, la municipalité a mis en place des quotas pour limiter les locations saisonnières afin d’éviter que le centre se vide de ses habitants. À Venise, une taxe d’entrée dans la ville a été instaurée pour les visiteurs journaliers. On a aussi observé dans ces villes, des mobilisations citoyennes qui ont conduits à ces mesures, comme cela a également été le cas à Palma de Majorque plus récemment, où des habitants ont manifesté contre le « tourisme de masse ». Ces expériences montrent qu’il existe des pistes contre la saturation mais qu’aucune n’est évidente : taxer davantage permettrait de financer la gestion des déchets ou la protection de l’eau, mais au risque de voir les visiteurs se tourner ailleurs.

À Lagos, certains signes vont déjà dans ce sens : campagnes de sensibilisation à la sobriété en eau dans les hôtels, efforts de quelques restaurateurs pour remettre en avant une cuisine portugaise plus authentique, initiatives locales pour diversifier l’économie avec l’artisanat ou des circuits de randonnée par exemple. Car il ne s’agit pas pour la ville de fermer les portes. Sans tourisme, Lagos telle qu’elle s’est transformée ne vivrait pas. Il est encore nécessaire de prendre davantage en compte les habitants, pour que la ville ne se laisse pas définitivement avaler pour devenir une station estivale sans âme, comme n’importe quel autre spot littoral.

Et moi, en écrivant ces lignes, je suis aussi un touriste parmi d’autres. À vélo. Mais peut être que le défi est là : apprendre à voyager autrement.

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Parque de Campismo da Trindade
Pour citer cet article

Paul Mikulovic, « Sur ma route, entre soleil et tourisme en Algarve », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 16/09/2025, URL : https://www.revuesurmesure.fr/contributions/sur-ma-route-entre-soleil-et-tourisme-en-algarve