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Sur ma route, circuler à Dakar

De Bordeaux à Dakar à vélo, cette série explore les territoires pour comprendre comment ils s’adaptent à certains défis contemporains : changement climatique, développement urbain, préservation du patrimoine, gestion du tourisme... Une série d’articles comme des instantanés de terrain, simples, où le regard de l’urbaniste professionnel croise celui du passionné de voyage. Sixième et dernier épisode, l’arrivée à Dakar et la découverte d’une ville en mouvement, où mobilité et urbanité s’articulent au quotidien.

Dernière étape de mon voyage : Dakar. La capitale sénégalaise, située à la pointe d’une presqu’île, n’est pas un but simple à atteindre, même après tant de kilomètres parcourus. Elle bénéficie de trois accès principaux : par l’autoroute, par un accès au nord de la ville qui prend la forme d’une double voie peu accueillante pour les vélos, et enfin l’accès sud, que j’emprunte, par la ville limitrophe de Rufisque.

Bien avant même d’atteindre le centre, la ville s’annonce, cinquante ou soixante kilomètres auparavant, par l’enchaînement de panneaux d’entrée de ville, qui ne marquent jamais de frontière précise : Dakar commence bien avant Dakar. Les villages se fondent dans les faubourgs, qui se fondent eux-mêmes dans la ville-capitale. À mesure que j’avance, la densité augmente, le bâti se resserre et l’air se charge de poussière et de gaz d’échappement.

Circuler à Dakar, c’est déjà une expérience urbaine en soi ! Comment une ville saturée par sa circulation parvient-elle à fonctionner, à se développer… et comment cette contrainte lui permet-elle aussi de se réinventer ?

Le défi de se déplacer à Dakar

Tout le monde le dit : se déplacer à Dakar, c’est long et compliqué. À certaines heures, la route se charge encore davantage, et on avance quasiment plus vite à pied. Bien que les infrastructures soient bien présentes, elles ne sont pas suffisantes. Un réseau de voies rapides – en principe interdites aux charrettes et aux vélos – existe bel et bien, mais il est très rapidement saturé. A cela s’ajoute une spécificité : la morphologie de la ville, dans son site géographique, en goulot d’étranglement. En banlieue, les choses sont parfois encore plus compliquées, comme à Parcelles Assainies ou Yeumbeul, où les routes menant à ces quartiers sont complètement défoncées.

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Ndiaga Ndiaye et une charrette dans les rues de Yeumbeul

Dans ce paysage, plusieurs options existent pour se déplacer : celle de la voiture individuelle, bien sûr, mais qui demeure réservée à une toute petite partie de la population ; pour les distances moyennes ou plus longues, la marche est trop chronophage et le vélo pas toujours idéal, faute d’infrastructures adaptées. Les options les plus courantes restent donc les transports collectifs, dans toute leur riche diversité.

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Bus de ville Dem Dik

Parmi ces transports, ce sont d’abord, les taxis – omniprésents – qui peuvent embarquer une ou plusieurs personnes, selon le prix que l’on est prêt à payer. Viennent ensuite les bus « Tata », très utilisés, qui disposent d’un itinéraire et d’arrêts théoriques mais peuvent se stopper, en pratique, un peu partout en fonction de la demande. À côté d’eux, les Ndiaga Ndiaye, d’anciens camions Mercedes 508 transformés en véhicules de transport collectif. Mis en place dans les années 1980, ils assurent une grande part des trajets et parviennent à fonctionne sans itinéraire très strict : ils ont une destination, les passagers montent ou descendent au fur et à mesure… ce qui en fait un maillon essentiel du réseau informel de mobilité.

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Parvis de la gare centrale de Dakar

À cela s’ajoute le bus classique (Dem Dik) et le BRT (« Bus Rapid Transit »), des bus à haut niveau de service qui offrent une option plus rapide, grâce notamment à des tronçons en site propre (réservés aux bus donc), et plus confortable, mais aussi plus onéreux que le classique « bus tata ».

Cette diversité de modes de transports, notamment cet ensemble de véhicules, en dit long sur la ville : Dakar vit dans une forme d’hybridité permanente entre formel et informel, entre modernité planifiée et débrouille quotidienne. Les infrastructures construites récemment cherchent avant tout à organiser un système qui semble définitivement saturé. Alors qu’à côté d’elles, les cars rapides multicolores, les taxis collectifs ou les vendeurs ambulants continuent de composer un véritable visage agile de la mobilité dakaroise.

La route, où la ville se réinvente

À force de circuler dans Dakar, on comprend vite que le problème n’est pas seulement le nombre de véhicules : c’est tout un écosystème qui fonctionne à la limite. Les routes, souvent sursollicitées, montrent leurs faiblesses à chaque carrefour. C’est le cas dans toutes les villes du monde mais je le ressens tout particulièrement ici : la route n’est jamais neutre et façonne ici grandement le quotidien. Elle détermine la vitesse des déplacements, le coût de la vie, le bruit ambiant, parfois même la santé.

Mais ce qui frappe, c’est la manière dont les habitants se réapproprient ces infrastructures. Là où, ailleurs, on ne verrait que du bitume, ici la route devient un lieu de vie. Sous les ponts ou à proximité des voies rapides, on trouve des terrains de foot improvisés, des garages de mécanique à ciel ouvert, des vendeurs, des étals, etc. Le long des axes, des cantines ou petits restaurants accueillent les chauffeurs et les passants. On s’arrête, on mange, on discute…

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Terrains de foot sous la voie rapide

Ce foisonnement se retrouve aussi dans les transports eux-mêmes, où l’économie informelle est omniprésente. Elle ne se contente pas de combler des manques dans le réseau officiel de desserte : elle produit un véritable réseau parallèle, maillé par les taxis collectifs ou les minibus privés. Loin du désordre apparent, ces moyens de mobilité relient les quartiers oubliés, crée de l’activité et répondent là où la planification des transports urbains ne suffit pas. Cette manière de faire ville est à la fois une conséquence de la pénurie d’infrastructures et d’espaces publics aménagés, mais aussi un témoignage d’une très grande capacité d’adaptation collective.

Néanmoins, tout ne peut pas reposer sur cette intelligence d’usages. Les évolutions techniques des moyens de transport public, et les travaux qui en découlent, sont attendus et nécessaires. Ils devront parvenir à accompagner cet héritage, sans chercher à le remplacer. La mobilité de Dakar semble devoir se construire tout autant par l’initiative des habitants que par les projets d’aménagement ou de développement de nouvelles infrastructures.

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Route départementale en banlieue de Dakar

La ville qui bouge, le voyage qui s’arrête

Après des milliers de kilomètres à vélo, j’ai appris à composer avec les imprévus. Dans cette ville, c’est presque une nécessité : il faut adapter son chemin, vagabonder, laisser la ville décider de ton itinéraire. La circulation impose son propre tempo : il faut accepter d’attendre, parfois longtemps, ou même renoncer à une destination. Dakar enseigne une autre vision du déplacement : celle de l’adaptation.

Se déplacer ici n’est pas seulement une question d’efficacité : c’est une manière d’habiter la ville, de s’y confronter et de s’y fondre à la fois. On se croise, on s’évite, on s’arrête pour discuter. Même dans le désordre apparent, il y a un rythme partagé qui maintient la ville ensemble.

Et puis, au bout de la route, il y a la mer. L’océan marque la fin de mon voyage, mais pas celle de la circulation. De la Garonne à la capitale sénégalaise, j’aurai suivi les routes, les villes et leurs manières de vivre dans le mouvement. Bordeaux se réinventait sur ses friches ; Dakar, elle, invente chaque jour sa propre manière d’avancer.

Pour citer cet article

Paul Mikulovic, « Sur ma route, circuler à Dakar », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 05/11/2025, URL : https://www.revuesurmesure.fr/contributions/sur-ma-route-circuler-a-dakar